«Se fondre» : le drapeau en berne
Dans un avenir rapproché, le Québec s’est noyé dans la grande mer anglo-saxonne qu’est l’Amérique du Nord. Tout ce qui faisait sa spécificité — sa langue, sa culture, son engagement politique — s’est gommé jusqu’à disparaître presque complètement. Les résistants nationalistes ont tous été faits prisonniers et purgent des peines à perpétuité dans des établissements carcéraux où tout ce qu’ils représentent est méprisé et réprimé.
Or, le vent tourne lorsque, du jour au lendemain, les condamnés sont tour à tour retrouvés morts sur la cuvette de la toilette de leur cellule. Ces décès, qui surviennent sous le nez des geôliers, sont liés à un mystérieux — et dégoûtant — ver solitaire qui niche dans les entrailles de Matricule 973 (Jean-François Casabonne).
Lorsque ce dernier, ayant renié toute conviction politique, est libéré de prison, il est rapidement pris en charge par un groupe de militants. Parmi ceux-ci, deux scientifiques (Pascale Bussières et Sébastien Ricard) espèrent se servir du ver pour raviver la mémoire des Canadiens français, et ainsi sauver ce qu’il reste de la nation québécoise.
Simon Lavoie (Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, 2016 ; La petite fille qui aimait trop les allumettes, 2017) ne fait pas dans la dentelle avec Se fondre, un long métrage pamphlétaire qui s’inscrit de manière marquée dans l’héritage d’un Pierre Falardeau ou d’un Michel Brault, avec une audace, un front, un franc-parler qui ne ménage pas ceux qui auraient une opinion divergente. Puissant ? Très. Subtil ? Aucunement.
Si le réalisateur ne s’embarrasse pas de subtilité dans le propos, il se fait beaucoup plus conceptuel dans la forme, qui embrasse ici le chaos et le choc provoqué par la rencontre entre les genres. On alterne donc entre l’horreur, la science-fiction, l’essai, le documentaire et le cinéma muet, dans un mélange qui, s’il ne se veut pas toujours heureux et fluide, met délibérément le public dans une posture de spectateur, le forçant ainsi à se questionner et à se laisser porter par l’approche plus philosophique de l’expérience.
La mise en scène épouse l’hybridité de la proposition en adoptant tour à tour les codes des différents genres, renforçant l’impression insolite qui se dégage de l’ensemble, et rappelant constamment le potentiel que contient l’artificialité du cinéma. Ainsi, on va de l’austérité de la prison — symbole d’un Québec enfermé dans sa tutelle historique — au plan large et empreint d’amplitude et de liberté du documentaire territorial, en passant par la corporalité et les éléments plus sombres du cinéma d’horreur.
L’interprétation décalée et l’abandon total des acteurs — Jean-François Casabonne en tête — à la vision du réalisateur ajoutent à l’élan poétique de l’oeuvre.
En racontant son récit sur pellicule, avec un ratio d’image 1,66/1 calqué sur les films français de l’après-guerre, Simon Lavoie rappelle le travail artisanal qui sous-tend le cinéma d’auteur. Avec cette approche nostalgique, il effectue un parallèle intéressant entre l’effacement de la mémoire collective du Québec par la mondialisation et l’effondrement de la sensibilité artistique devant l’hégémonie nord-américaine dominée par les plateformes de diffusion en continu.
En choisissant d’appeler un chat un chat et de montrer du doigt tout ce qui, à son avis, pourrait contribuer à court et à long terme à la disparition de la nation québécoise, le cinéaste n’évite pas le piège du didactisme, ni celui du manque de nuances envers les plus jeunes générations, ainsi qu’envers l’ouverture à l’autre. Là où il réussit son pari, c’est plutôt dans les métaphores plus évocatrices qui s’organisent autour du thème de la mémoire et de l’importance d’une culture et de voix uniques qui la portent dans son édification. Ambitieux, original, mais pas toujours achevé.