«Fancy Dance»: celles qui restent, celles qui dansent
Depuis la disparition de sa soeur Tawi, Jax veille sur sa nièce Roki, au sein de la communauté seneca-cayuga, en Oklahoma. Leur existence se divise entre les périples dans la nature, où elles trouvent à manger, et les petits larcins qui leur permettent de se garder un toit au-dessus de la tête. Tous leurs temps libres sont consacrés à la recherche de Tawi, le dossier faisant du surplace auprès des autorités. Or, lorsque les services de protection de l’enfance s’amènent pour confier Roki à son grand-père blanc, tout bascule. Plus d’un an après avoir séduit au festival de Sundance, Fancy Dance sort enfin… mais pas au cinéma, hélas : sur Apple TV+ seulement.
Le film d’Erica Tremblay affiche une parenté, diffuse mais réelle, avec Winter’s Bone, de Debra Granik. Dans les deux cas, une adolescente tente de retrouver un parent volatilisé, avec, autour d’elle, un système distinctement matriarcal qui se met en place.
Quoique dans Fancy Dance, il y a deux protagonistes : Roki, incarnée par Isabel Deroy-Olson, qui est excellente, et sa tante Jax, jouée par Lily Gladstone, qui est fort émouvante.
Sans surprise en effet, la vedette de Killers of the Flower Moon (La note américaine), de Martin Scorsese, se révèle formidable dans le rôle de cette jeune femme qui, dans une certaine mesure, vit pour autrui : pour sa soeur disparue, qu’elle ne désespère pas de retrouver, et surtout pour sa nièce, qu’elle aime plus que tout (en langue cayuga, « tante » signifie « petite maman »).
Certes, Jax fréquente une femme, une collègue danseuse de Tawi en l’occurrence, mais elle maintient une distance transactionnelle, en plus de s’engourdir à l’alcool lors de leurs rencontres…
Le film d’Erica Tremblay, qui appartient elle-même à la nation seneca-cayuga, et qui cosigne le scénario avec Miciana Alise, est rempli de ce genre de détails révélateurs. La cinéaste n’en surligne aucun, faisant à l’évidence confiance à l’intelligence du public et à la capacité de ce dernier à relever et à déduire ce que doit.
L’approche vaut en outre pour les dialogues : souvent, ce qui est dit renvoie à un sous-texte plus large. Par exemple, un échange en apparence banal entre Roki et Nancy, la nouvelle conjointe de son grand-père, blanche comme celui-ci, donne à voir une attitude qui se veut bienveillante, mais qui est en réalité condescendante.
Lors de ladite scène, non seulement Nancy réduit les habits traditionnels que se confectionne Roki à un « costume », mais elle parle déjà de la mère de l’adolescente au passé. Roki la corrige au terme d’un passage qui, mine de rien, aborde de vastes questions comme le colonialisme, l’effacement culturel, et bien sûr, les femmes autochtones disparues ou assassinées, l’un des thèmes principaux du film.
Double disparition
À ce sujet, à y regarder de près, Fancy Dance traite de deux disparitions. Il y a évidemment celle de Tawi, mais il y a également celle de la langue cayuga, qui a failli être éradiquée.
Comme Erica Tremblay et Lily Gladstone nous l’expliquaient en entrevue, il ne reste qu’une vingtaine de personnes parlant couramment le cayuga. Aussi, des programmes de revitalisation de la langue ont-ils été créés. D’où la décision de la cinéaste, qui a suivi un tel programme immersif, de mettre le cayuga en valeur dans son film, en imaginant un quotidien où on le parle couramment entre deux phrases en anglais (comme le font Jax et Roki, leurs interprètes ayant travaillé avec une coach de la communauté).
Ce parti pris est représentatif d’une approche constructive, aussi lucide soit-elle quant aux multiples questions abordées, de la part d’Erica Tremblay. Car même lorsque confronté au drame, même lorsque confronté à la tragédie, Fancy Dance refuse de se laisser abattre et poursuit sa danse, sa si belle et inspirante danse.