«Brats»: thérapie entre idoles
Au cours de la première moitié des années 1980, un changement de paradigme notable survint à Hollywood. En effet, après qu’une poignée de productions destinées à un public adolescent jusque-là négligé par les studios eurent rapporté gros, les « films pour ados » se multiplièrent. Conséquemment, les salles se remplirent de jeunes gens avides de se reconnaître sur le grand écran. Un nouveau star-système naquit. Andrew McCarthy en faisait partie, avec d’autres vedettes à peine vingtenaires. En 1985, un article surnomma le groupe le Brat Pack, un jeu de mots avec le Rat Pack de Frank Sinatra et cie, sauf que brat signifie « enfant gâté ». L’étiquette colla. En 2024, McCarthy, devenu depuis reporter globe-trotter puis réalisateur, revisite cette appellation honnie dans le documentaire Brats.
Pour ce faire, la tête d’affiche de succès de l’époque comme Pretty in Pink (Rose bonbon), St. Elmo’s Fire (Le feu de St. Elmo) et Mannequin est allée à la rencontre de partenaires de jeu d’alors, dont Emilio Estevez, Demi Moore, Rob Lowe et Ally Sheedy. Défilent des extraits de films emblématiques comme Breakfast Club, Ferris Bueller’s Day Off (La folle journée de Ferris Bueller), Sixteen Candles…
Il faut comprendre que l’article en question brossait un portrait somme toute peu flatteur de ces jeunes interprètes, volontiers dépeints comme manquant de sérieux par rapport au métier, et toujours en train de faire la fête ensemble. C’est d’ailleurs là un des mythes que déboulonne le documentaire : les membres du Brat Pack ne se fréquentaient guère dans la vie. De nombreux extraits d’entrevues d’alors les montrent en outre très éloquents par rapport à la profession…
À cet égard, l’usage que fait McCarthy de diverses archives audiovisuelles s’avère souvent judicieux, les propos issus du passé offrant tantôt un contrepoint, tantôt un écho à ceux recueillis au présent.
À coeur ouvert
Ce qui frappe d’emblée, c’est la franchise ambiante. C’est apparent dès la première « visite », lorsqu’Andrew McCarthy se présente chez Emilio Estevez, qu’il n’a pas revu depuis près de quarante ans, soit depuis la première de St. Elmo’s Fire.
En un choix intéressant, McCarthy a conservé au montage toute l’amorce de la conversation, d’abord empreinte d’inconfort et de réserve, mais qui se transforme très vite en un échange à coeur ouvert. La rapidité avec laquelle ces deux hommes, qui admettent n’avoir jamais été amis du temps de leur vedettariat, partagent soudain des réflexions très intimes vient justifier toute la démarche de McCarthy.
De fait, comme nous le confiait en entrevue ce dernier : « L’étiquette Brat Pack a été un événement sismique dans ma vie […] J’étais curieux d’entendre les autres à propos de ce club, ce club dont nous n’avions pas demandé à être membres… Leur expérience a-t-elle été la même que la mienne ? […] Si, demain, je croisais quelqu’un avec qui j’ai tourné un film il y a trente ans, je n’aurais peut-être rien à lui dire. Mais comme je le dis à Emilio dans le documentaire, étant donné que lui et moi étions membres de cette chose, de cette chose qui nous est arrivée et qui a affecté nos vies et a en partie défini notre parcours, nous avons un point de connexion. »
Cette « connexion » est tout spécialement manifeste avec Demi Moore, qui se trouve au coeur du segment le plus réjouissant. Visiblement ravie d’accueillir McCarthy, Moore l’écoute avec chaleur, puis se confie elle-même, avant de gentiment « psychanalyser » son invité : savoureux.
Dimension universelle
À signaler que hormis celles des membres officiels et officieux (comme Jon Cryer et Lea Thompson) du Brat Pack, McCarthy a sollicité les lumières d’un sociologue, d’un historien du cinéma, d’une autrice spécialisée dans le catalogue de films concernés… David Blum, l’auteur de l’article du New York Magazine à l’origine du surnom Brat Pack, a également accepté de participer.
Le journaliste ne formule aucun mea culpa, mais admet du bout des lèvres que ses mots ont pu avoir des conséquences néfastes. Un moment tendu, mais élégamment négocié par McCarthy et Blum.
Certes, Brats, qui possède un côté artisanal et intimiste éminemment touchant, plaira surtout à la génération ayant grandi avec les films pour ados des années 1980. Toutefois, la quête d’Andrew McCarthy, qui, en somme, affronte un traumatisme passé et trouve ce faisant du positif dans un événement longtemps perçu comme négatif, revêt une dimension universelle.
En cela qu’il est possible de transposer sur ladite quête n’importe quel heurt, insatisfaction ou « dossier non réglé » de sa propre existence. Bref, après s’être identifié aux personnages, voilà que l’on peut désormais s’identifier aux personnes les ayant immortalisés.