«Cantata»: Une soirée, quatre saisons

Photo du spectacle «Cantata» des Grands Ballets canadiens
Photo: Sasha Onyshchenko Photo du spectacle «Cantata» des Grands Ballets canadiens

Jeudi soir a eu lieu la première de Cantata, le tout nouveau programme mixte des Grands Ballets canadiens. Composé de quatre oeuvres aussi originales qu’éclectiques, il met de l’avant l’étendue du talent des interprètes à travers les yeux de chorégraphes de renom, mais aussi de plus émergents. Une soirée haute en couleur qui nous plonge dans des univers tous plus intéressants les uns que les autres.

Après avoir présenté chaque danseur de la compagnie et leur origine géographique, le rideau se ferme. Place au spectacle ! C’est une première proposition très inédite qui débute la soirée. Vêtus de casques de moto et de combinaisons semblables à celle d’une Formule 1 (version ballet tout de même !), les danseurs des Grands Ballets inondent la scène sur de la musique électronique. Avec Podium, le jeune chorégraphe Étienne Delorme nous immerge dans un univers électrique, bruyant et peu commun dans la danse classique. Et pourtant, ça fonctionne. La verticalité des pointes, leur profil tranché et leur clarté s’accordent à merveille avec une musique entraînante, entêtante. La précision des mouvements aussi s’harmonise et souligne le propos ainsi que les sons. On a envie de bouger tout en étant happé par la netteté et l’exactitude de l’ensemble des interprètes sur scène. Les effets de groupes, de canons, d’alternance entre le sol et la posture debout interpellent et nous accrochent. Le jeu de lumière est aussi intéressant et ajoute une couche de complexité à l’oeuvre. On y comprend la frénésie de la vie, l’aspect compétitif et l’urgence, souvent présente dans le quotidien.

Dans un deuxième temps, In Honour Of, de Bridget Breiner, nous saisit de douceur avec un pas de trois remarquablement ficelé. Ce n’est pas deux pas de deux qui tentent de se combiner sous nos yeux, mais bien un véritable pas de trois où chaque élément du trio joue et s’accorde ensemble. La recherche de mouvements et de dynamiques derrière cette pièce est très élaborée et est belle à voir. Je dirai même, est belle à ressentir. Les interprètes nous amènent avec eux dans leur aisance et leur lâcher-prise. On sent la douceur de leurs appuis déposés, de leurs portés suspendus dans l’espace et le temps. Le tout dans une progression sentie, en légèreté, mais sans lassitude. Une grande délicatesse et un doux abandon se dégagent de cette création. Et le jeu de lumière, simple, mais efficace, rajoute une touche de poésie à la proposition.

Enfin, place à Nebe, « le ciel » en tchèque, des chorégraphes Jérémy Galdeano et Věra Kvarčáková. Sur une musique digne d’un film à suspense, les interprètes semblent flotter dans les airs. Là encore, la douceur est soulignée, mais est davantage mise en contraste avec des énergies plus tranchées. Dans cette oeuvre, les danseurs se baladent entre le ciel et la terre, tout en soulevant les questions philosophiques de l’impermanence de la vie et du paradis. Intéressante dans sa gestuelle, cette pièce nous satisfait aussi par ses compositions de groupes où la précision n’est pas de mise, mais bien la spontanéité et les effets visuels qu’elle peut créer. L’utilisation des effets laser et de la fumée enrobe la proposition, mais n’est pas d’un grand intérêt.

Rendez-vous en Italie

Pour clôturer la soirée, c’est la pièce Cantata, du chorégraphe Mauro Bigonzetti, qui envahit le théâtre. D’abord par ses chants traditionnels du sud de l’Italie, magnifiquement interprétés sur scène par un quatuor féminin. En ouverture et en fermeture de la création, ces femmes nous transportent sur leurs terres et nous touchent par leur voix. Par la suite, les danseurs, alors pieds nus, habillés de vêtements amples et colorés, cheveux détachés jouent sur scène comme dans la rue. Telle une communauté, ils communiquent, rient ensemble et s’encouragent à s’amuser et à danser.

Berceuses, pizziche du Salento, sérénades napolitaines, de nombreuses références à la culture populaire italienne rythment l’oeuvre. Et toute cette vitalité et cette énergie sont contagieuses. Telle une fête, on suit les artistes dans leurs aventures, on sourit avec eux. La gestuelle est viscérale, parfois brouillonne et sauvage, mais toujours dans l’authenticité. C’est ici davantage la vérité que l’on cherche plutôt que la perfection. Très ancrés au sol, les mouvements sont libres, relâchés et festifs. Loin du ballet, on peut tout de même apercevoir quelques portés, ainsi que la technique infaillible de ses interprètes de qualité. On soulignera d’ailleurs un très beau pas de trois qui donne une pause dans la fête, et amène une captivante proposition chorégraphique.

Derrière la fête et la légèreté, on distingue le drame des relations humaines, entre jalousie, passion, engueulades et séduction. Quelques réflexions, notamment sur le traitement des femmes, le rôle de celles-ci et celui des hommes, sont ainsi soulevées, mais vraiment dans une petite mesure. La célébration reste au coeur de Cantata.

La soirée Cantata offre donc une variété d’oeuvres, toutes plus surprenantes les uns des autres, mais qui souligne chacune avec originalité l’immense maîtrise technique des interprètes des Grands Ballets canadiens et démontre qu’aujourd’hui, le ballet ouvre ses horizons et cherche toujours à se renouveler.

Cantata

Les Grands Ballets canadiens. Au Théâtre Maisonneuve jusqu’au 16 mars.


Une version précédente de ce texte, qui désignait Jérémy Galdeano sous le nom de Jérémy Haldeano, a été modifiée.

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