Comment les coquerelles sont parvenues à dominer le monde
Le type de coquerelle le plus répandu dans le monde — un minuscule parasite bronzé appelé blatte germanique — rampe actuellement dans d’innombrables bâtiments, se cachant dans les recoins sombres des chambres d’hôtel, des cuisines de restaurant et, si vous n’avez pas de chance, de votre propre maison — partout où il peut serrer son petit corps et fouiller dans les miettes que nous laissons tomber.
Pourtant, lorsque les scientifiques recherchent son habitat naturel, ils ne le trouvent pas. Il n’est originaire d’aucune région sauvage d’Allemagne. En fait, il ne semble avoir d’habitat naturel nulle part dans le monde entier.
« Son origine est un mystère », explique Edward Vargo, entomologiste urbain à l’Université A&M du Texas. « Elles n’existent que dans les bâtiments. »
Les scientifiques qui ont procédé à une analyse de l’ADN de la blatte affirment aujourd’hui avoir résolu cette énigme vieille de 250 ans, à savoir l’origine de cette bestiole omniprésente.
La réponse, c’est nous. C’est nous qui avons créé la coquerelle. L’espèce s’est détachée de sa cousine la plus proche il y a seulement 2100 ans — soit le temps d’un clin d’oeil à l’échelle de l’évolution — et elle est entièrement adaptée à la vie dans les habitations aux côtés des humains.
« L’espèce s’est formée en raison de son adaptation aux environnements créés par l’homme », affirme M. Vargo, coauteur d’une étude sur la genèse de la blatte publiée la semaine dernière dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.
La blatte témoigne de la capacité d’adaptation de la nature, même dans les environnements les plus artificiels et face à des colocataires humains hostiles qui tentent — souvent en vain — de la piéger, de l’empoisonner ou de l’écraser jusqu’à ce que mort s’ensuive. Cette capacité d’adaptation a permis à l’insecte de ramper de l’Alaska à l’Antarctique et de devenir l’un des parasites les plus destructeurs au monde.
L’insecte qui est partout
La blatte germanique a fait le tour du monde en se cachant dans les cargaisons des avions, des trains et des automobiles. Les premières traces de ce ravageur sont apparues en Europe, au milieu du XVIIIe siècle, peu après la guerre de Sept Ans, ce qui a probablement permis à l’insecte de se répandre sur le continent en faisant de l’auto-stop avec les soldats.
Les Européens ont baptisé le nouvel insecte du nom de leurs ennemis dans ce conflit. Les Russes l’ont appelé la « blatte prussienne », en référence à l’ancien État allemand, tandis que certains ennemis de la Russie l’ont appelé la « blatte russe ».
Le biologiste suédois Carl Linné l’a appelée la blatte germanique, et ce nom est resté. (La Suède a combattu la Prusse pendant la guerre.)
« Le nom est vraiment subjectif et témoigne d’une préférence personnelle, nationale ou politique à ce moment-là », explique Qian Tang, chercheur associé à Harvard, qui a dirigé l’étude.
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Pendant des siècles, le véritable lieu de naissance de l’insecte est resté un mystère, alors même que ce dernier conquiert le monde. Il se reproduit plus rapidement que les autres espèces de blattes, ce qui accroît sa capacité d’évolution. L’une des clés de son succès est sa résistance à la plupart des poisons qui lui sont administrés.
« Si nous connaissons l’origine de l’espèce, nous pouvons essayer de trouver le mécanisme de cette évolution rapide de la résistance aux insecticides », explique M. Tang.
D’où viennent les coquerelles ?
Pour déterminer l’origine de l’insecte, M. Tang et son équipe ont collecté près de 300 blattes dans 17 pays sur six continents afin de cartographier sa propagation mondiale.
En analysant les génomes des blattes germaniques, Tang et ses collègues ont conclu que celle-ci était issue d’une autre espèce, appelée blatte orientale — également une espèce envahissante, bien que son habitat principal soit en plein air —, apparue après qu’elle se fut installée dans des habitations en Inde ou au Myanmar il y a plus de deux millénaires. De là, les blattes germaniques ont accompagné les voyageurs pendant les dynasties islamiques et le colonialisme européen.
Aujourd’hui, le coût sanitaire et économique de cette propagation est énorme. Il ne s’agit pas seulement d’un manque à gagner pour les hôtels et les restaurants lorsque les clients voient ces insectes s’enfuir. Les infestations de blattes peuvent déclencher de l’asthme chez les personnes allergiques à leur salive et à leurs excréments.
« Il s’agit d’un problème de santé publique important, en particulier dans les logements sociaux, où les traitements contre la blatte germanique laissent beaucoup à désirer », souligne M. Vargo.
L’étude est née des travaux de doctorat de M. Tang à l’Université nationale de Singapour. Pendant son enfance en Chine, il aimait regarder des documentaires sur la nature et les animaux sauvages et lire des livres sur les dinosaures. Enfant, il ne se doutait pas que son intérêt pour la biologie évolutive le conduirait à étudier un parasite domestique.
Les chercheurs veulent maintenant trouver les gènes qui ont permis aux blattes germaniques de prospérer dans la jungle urbaine afin de mieux les combattre, ainsi que d’autres parasites.
« Avec l’urbanisation croissante du monde, ce phénomène va devenir de plus en plus courant, indique M. Vargo. L’environnement urbain devient une sorte d’écosystème beaucoup plus répandu. »
Quant au nom de l’insecte, M. Tang croit qu’il est temps d’abandonner le terme germanique. « Il est probablement nécessaire de le renommer de manière plus scientifique. »