Les cohortes COVID ont payé

L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a confirmé cette semaine ce que plusieurs lucides pressentaient : la scolarité saccadée subie par les cohortes de la pandémie de COVID-19 a eu un effet négatif sur leur réussite. Pour la première fois en 20 ans, le taux de décrochage scolaire au secondaire a augmenté, ce qui devrait placer le Québec en alerte, surtout dans un contexte où la pénurie de main-d’oeuvre incite certains jeunes à quitter l’école pour les bénéfices du marché du travail.

La statistique la plus perturbante du lot de données révélées par l’ISQ est bel et bien le retour à une courbe descendante en matière d’obtention du diplôme d’études secondaires, après deux décennies de fier redressement. De tout temps, les ministres de l’Éducation et les autorités scolaires ont partagé comme principal dessein celui de tout mettre en marche pour favoriser la réussite des élèves. De glorieux indicateurs de l’éducation ne peuvent qu’améliorer la santé économique et sociale d’une nation.

Plusieurs gouvernements ont donc eu en partage au fil des dernières décennies un objectif de mise à mal des taux de décrochage affligeants, ne plaçant pas le Québec en posture honorable au sein de la fédération canadienne. Le gouvernement de François Legault, ex-ministre de l’Éducation ayant lui-même accordé beaucoup d’efforts en son temps à l’augmentation des taux de réussite et de diplomation, a fait de l’éducation une priorité absolue, envers et contre les besoins immenses de la santé et de l’économie. Malheureusement, sur la route de la réussite, une gestion de pandémie bancale en milieu scolaire et une criante pénurie de main-d’oeuvre ont constitué d’importants obstacles.

En pleine pandémie, certains dirigeants de l’Éducation se sont affublés de lunettes roses, ne voulant pas voir que les nombreux confinements et les nombreuses interruptions de services scolaires ne pourraient qu’être néfastes, surtout pour les élèves les plus vulnérables. L’ISQ confirme aujourd’hui que la pandémie a tiré vers le bas les plus fragiles. C’est une évidence quand on sait que parmi les facteurs les plus importants favorisant la réussite, il y a la constance et la qualité de l’encadrement.

Le décrochage scolaire a donc augmenté de 2,5 points de pourcentage au cours de la pandémie. Les données 2021-2022 révèlent que 16,3 % des élèves ont quitté le secondaire sans diplôme en main. L’année précédente, ce chiffre était de 13,8 %. Chez les garçons, la chute est de 2,9 points de pourcentage. Mais les filles, dont les taux de sortie sans diplôme étaient relativement stables au cours des dernières années, ont subi aussi une descente de 2,1 points de pourcentage, signe des effets généralisés de la pandémie à l’école, particulièrement la première année. Les dernières données disponibles en éducation remontent à cette année 2021-2022. On peut craindre que cette courbe descendante se poursuive pour un moment.

La réussite scolaire est un concept si fragile ! Ces récentes statistiques ont reçu un accueil inquiet de la part du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, dont la réaction normale est, bien sûr, d’être préoccupé par ce portrait, sans sombrer dans la sous-estimation ou le jovialisme. C’est aussi un signal indiquant qu’il faut redoubler d’efforts pour mieux encadrer, « tuteurer », assister ces élèves tentés par l’absentéisme et ensuite l’abandon. Les coûts du décrochage scolaire pèsent non seulement sur l’élève lui-même, mais aussi, globalement, sur l’ensemble de la société, littéralement au propre et au figuré.

Il y a des facteurs familiaux, sociaux et personnels sur lesquels l’école ne peut pas grand-chose et qui peuvent être déterminants dans le phénomène du décrochage scolaire (la valorisation de l’école par les parents, l’influence des pairs, l’estime de soi et la santé mentale, la conciliation travail-études, entre autres choses). Mais l’école est un agent d’influence extraordinaire ! Une bonne relation maître-élève peut faire des miracles. La présence dans l’école de professionnels pour soutenir les élèves en difficulté peut jouer un rôle déterminant. Une équipe-école et une direction d’établissement unies dans l’intention de tout mettre en oeuvre pour la réussite peuvent aussi créer un climat dans l’école très favorable pour les plus fragiles, qui trouveront dans ce milieu des sources de motivation.

Au ministère de l’Éducation revient un blâme important : il a minimisé les contrecoups potentiels d’une école en déroute pendant que le prélude au décrochage se jouait. Ces statistiques devraient l’inciter à ne jamais négliger les outils de mesure de la réussite en direct. N’est-il pas aberrant, c’est le moins qu’on puisse dire, que nous recevions aujourd’hui des données sur la réussite scolaire de l’année 2021-2022, en plein coeur de 2024 ? En soi, ce constat nous renseigne sur le terrible décalage subsistant entre les aléas du terrain et la gouverne ministérielle, en retard sur le réel, et donc paralysée pour agir au bon moment.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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