Des citoyens pressent Ottawa d’évaluer Northvolt
L’organisation Mères au front et le Comité action citoyenne — projet Northvolt pressent le gouvernement fédéral de réaliser une évaluation environnementale du projet de Northvolt, en mettant en avant les risques que représenterait le complexe industriel pour la biodiversité et pour la rivière Richelieu.
Les deux regroupements ont déposé officiellement mardi leur demande d’évaluation environnementale du mégaprojet industriel directement au bureau montréalais du ministre canadien de l’Environnement, Steven Guilbeault.
« Il n’est pas trop tard pour que le gouvernement joue le rôle qui lui incombe. C’est-à-dire qu’il s’assure que, par le biais d’une évaluation environnementale formelle, les impacts environnementaux reliés au projet Northvolt soient analysés par des experts indépendants et que les résultats de cette évaluation soient accessibles avant que les dés soient jetés », a fait valoir Isabelle Senécal, porte-parole de la branche montréalaise de Mères au front.
Selon elle, cet examen serait nécessaire pour qu’on s’assure de préserver la biodiversité qui n’a pas encore été détruite dans le cadre des travaux qui ont déjà eu lieu sur le site, dont l’abattage d’arbres et le remblaiement de plusieurs milieux humides. « La nécessité de la transition énergétique ne doit pas servir à passer sous silence les risques très sérieux d’effondrement de la biodiversité ni à mettre en péril la qualité de l’eau », estime Mme Senécal.
Selon un « avis faunique » produit par les experts du ministère de l’Environnement du Québec avant que soit autorisée la destruction de milieux humides, le projet provoque la disparition de milieux naturels de « haute valeur écologique » et la perte irréversible d’habitats pour plusieurs espèces, notamment des espèces menacées. Les auteurs précisaient par la même occasion que « le site du projet est un massif de milieux naturels » d’une grande « diversité » qui « lui confèrent un intérêt pour la faune, dont plus de 142 espèces d’oiseaux et de nombreuses espèces en situation précaire (14 espèces d’oiseaux, 4 espèces de chiroptères ainsi que 3 espèces de tortues) ».
Risques pour le Richelieu
Mères au front et le Comité action citoyenne — projet Northvolt affirment que le gouvernement fédéral, à travers la Loi sur les pêches et la Loi sur les espèces en péril, pourrait intervenir afin notamment de s’assurer que le projet de Northvolt ne présente pas de risque pour le rétablissement d’espèces menacées et pour la rivière Richelieu, située tout près du site de la future usine.
Mme Senécal dit craindre les rejets provenant du site de la future usine, toujours contaminé en raison de son passé industriel, vers la rivière qui sert de source d’eau potable à des milliers de citoyens et qui constitue un « habitat essentiel » protégé du chevalier cuivré, une espèce en voie de disparition.
Northvolt a obtenu récemment l’autorisation du gouvernement Legault pour construire les premiers bâtiments de son complexe industriel, mais aussi pour implanter un système de « gestion des eaux pluviales ». Dans une réponse écrite aux questions du Devoir, Pêches et Océans Canada a assuré que ce rejet d’eaux provenant du site ne contreviendrait pas à la législation fédérale concernant la protection des écosystèmes aquatiques et des espèces en péril.
Northvolt prévoit également la mise en place d’un système de pompage et de rejet d’eau dans le cadre de l’exploitation de son usine. Pour le moment, on ignore quels seraient les volumes nécessaires et les détails de cette étape du projet industriel. L’entreprise devra déposer une demande, et elle a promis de rendre les documents soumis en appui à celle-ci publics, mais seulement une fois qu’elle aura obtenu son autorisation.
Les citoyens présents mardi devant les bureaux du ministre Guilbeault jugent que cette manière de procéder manque de transparence, ce qui ne peut qu’alimenter « des inquiétudes légitimes », selon Mme Senécal. Par courriel, Northvolt répond que « des études et analyses sérieuses ont été réalisées et de nombreuses conditions strictes ont été remplies » afin qu’elle obtienne les autorisations accordées jusqu’à présent.
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« Bénéfices écologiques »
Steven Guilbeault affirmait plus tôt cette année que la construction de l’usine de batteries de Northvolt à Saint-Basile-le-Grand, en Montérégie, ne l’inquiétait pas, en rappelant que tout projet a un effet sur l’environnement.
« Si vous me demandez à moi, en tant que ministre fédéral, si le projet de Northvolt m’inquiète : non, il ne m’inquiète pas », a déclaré le ministre en janvier. « C’est un grand projet industriel. On en a fait d’autres, et il y en a d’autres comme ça au pays. Mais c’est un projet qui, à long terme, va mener à des bénéfices écologiques très importants pour l’ensemble du pays. » Le cabinet du ministre n’avait pas donné suite aux questions du Devoir mardi, au moment où ces lignes étaient écrites.
Le gouvernement Legault a décidé pour sa part de ne pas soumettre la « giga-usine » de batteries à la procédure environnementale imposée depuis plusieurs années aux autres grands projets industriels qui souhaitent s’installer au Québec. Le ministre provincial de l’Environnement, Benoit Charette, a par ailleurs répété que le site de Northvolt est un ancien « terrain industriel », que Northvolt protège « les lieux de biodiversité d’intérêt » et que l’entreprise a mis en oeuvre des mesures « pour s’assurer que la biodiversité puisse se développer ».
Pour répondre aux critiques sur la destruction de nombreux milieux humides du site de Northvolt, l’entreprise et le gouvernement ont insisté sur la décision d’en préserver plusieurs. Mais seront-ils viables sur un terrain transformé par un mégaprojet industriel ? Le ministère de l’Environnement a refusé de répondre aux questions du Devoir, tandis que l’entreprise assure que ces milieux naturels vont perdurer.
Les citoyens qui réclament une intervention environnementale du gouvernement fédéral craignent par ailleurs que le dossier Northvolt ne crée un précédent qui ferait en sorte que d’autres projets industriels liés à la filière batterie échappent à la procédure d’évaluation environnementale en vigueur depuis plusieurs années au Québec. Le ministre Charette a indiqué plus tôt cette année sa volonté de réviser la procédure qui peut mener à une évaluation sous l’égide du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, et ce, pour l’« améliorer ».