Slogans et mensonges
Il y a longtemps que je cherchais le moment propice pour corriger les raccourcis simplistes dans les slogans anti-Israël lancés par certains militants de la cause palestinienne depuis les attaques du 7 octobre. Que je sois moi-même un sympathisant des Arabes déplacés en 1948, puis en 1967, par un État juif expansionniste et souvent impitoyable envers ses voisins n’y change rien. Le journaliste formé en histoire que je suis ne peut qu’être navré d’entendre des phrases comme : « le sionisme, c’est le racisme », « Israël est un État apartheid », « Israël s’engage dans un génocide à Gaza » ou encore « Israël est un état colonialiste ».
La première phrase est illogique. N’importe quel peuple, surtout un peuple historiquement persécuté comme le peuple juif, peut préférer vivre parmi ses semblables sans forcément détester les autres. La vie plus cosmopolite et hétéroclite choisie par des millions de juifs aux États-Unis, au Canada et en France, est le fruit d’un choix, pas une preuve de tolérance. Bien que le fondateur du sionisme moderne, Theodor Herzl, ait défendu une charte qui aurait permis la déportation d’Arabes en Palestine, son souhait, selon George et Douglas Ball dans The Passionate Attachment, aurait été de réclamer « les mêmes pouvoirs si la nouvelle patrie juive s’était trouvée en Argentine, au Kenya ou à Chypre ». Sa prédilection pour l’homogénéité ethnique n’avait donc rien à voir avec un « racisme » comme tel.
L’accusation d’apartheid est aussi tordue. Avec deux millions de citoyens arabes, Israël n’est pas un État comme l’était l’Afrique du Sud avant 1991. Il y a des tendances israéliennes vers une ségrégation entre Arabes et Juifs, ainsi qu’une discrimination informelle à l’encontre des Arabes, mais le système politique n’est pas juridiquement basé sur une séparation des races.
Quant au génocide, Le Petit Robert est clair : il s’agit de la « Destruction méthodique d’un groupe ethnique. Extermination ». L’armée israélienne en ce moment tue énormément de Palestiniens à Gaza, et ce, de façon aléatoire et imprudente. Cela ne déplaît pas aux extrémistes juifs, qui voudraient pouvoir en chasser ou même en abattre un plus grand nombre afin de saisir leurs terres. Cependant, ni le massacre actuel ni une expulsion éventuelle ne constituent un génocide. Pour autant que je sache, il n’y a pas d’idéologues juifs qui souhaitent l’épuration des Arabes pour des raisons pseudo-scientifiques, comme les nazis l’ont souhaité pour les Juifs. À vrai dire, le projet « Eretz Israel » n’est pas si différent, en principe, du « Destin manifeste » américain infligé aux Autochtones. Même si cela devait aboutir à une expulsion de masse, on n’envisage pas ici l’élimination des Arabes.
Quant à l’idée d’un Israël « colonialiste », il y a là une nette contradiction, qui ne peut être passée sous silence. Un des moteurs de « la guerre d’indépendance » israélienne fut les actes terroristes anticoloniaux menés par l’Irgoun et la bande Stern, les groupes paramilitaires juifs qui, avec l’accord de la Haganah et l’Agence juive, ont déstabilisé « l’occupant » britannique dans les années 1940. L’attentat de juillet 1946 à l’hôtel King David de Jérusalem a porté un coup emblématique à l’icône coloniale basée à Londres, alors capitale impériale du monde. Quatre-vingt-onze personnes sont mortes dans l’explosion, en grande majorité des civils.
Il est vrai qu’Israël a conspiré avec le Royaume-Uni et la France, deux puissances coloniales, en 1956, pendant la crise de Suez contre les ambitions de l’Égypte et du général Nasser, mais c’était là un geste opportuniste — Tel-Aviv voulait étendre ses frontières et non pas coloniser les Arabes. Le président Eisenhower, ironiquement, a mis fin à cette aventure néocoloniale. Aujourd’hui, Israël est l’occupant de la Cisjordanie et de Gaza, et le pays serait ravi si les Arabes occupés partaient.
Je vais cependant m’arrêter là, même si j’aime critiquer mon propre camp et ses militants mal informés. J’ai beau apprécier le fait de discuter de l’Holocauste et de mon appui (non sioniste) à la création d’un État juif, l’horreur que je ressens pour le projet fanatique d’Adolf Hitler — qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire humaine et qui a beaucoup accéléré la fondation d’Israël — ne m’empêchera jamais de dire combien je suis dégoûté par le projet fanatique défendu par certains Israéliens de droite et par l’arrogance d’un Benjamin Nétanyahou prêt à tout pour rester au pouvoir.
Il n’y a pas d’équivalence, évidemment, entre les nazis et les extrémistes juifs, mais il n’y en a pas non plus entre les chefs du Hamas et ceux du Troisième Reich. Comme le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, à l’endroit des « résidents de Gaza », le Hamas veut « encourager la migration » des résidents de Tel-Aviv. Le Hamas emploie des méthodes terroristes inhumaines (le meurtre et la prise en otages d’enfants, en particulier, ainsi que le viol), mais ces actes évoquent davantage l’armée américaine à My Lai, en 1968, que les terroristes Menahem Begin et Yitzhak Shamir, en 1946.
Nétanyahou, en tout cas, déforme l’histoire en invoquant la survie d’Israël pour justifier la tuerie de plus d’une trentaine de milliers de civils et la mutilation de centaines d’enfants. C’est comme si Yahya Sinwar avait derrière lui la Wehrmacht (regardez la BBC pendant une semaine si vous n’y croyez pas) ! Quel propos absurde de la part d’un chef d’État en possession, comme nous l’a rappelé mon collègue Jean-Philippe Immarigeon, de « 600 avions de combat, 1000 chars modernes et surtout d’une centaine de têtes nucléaires, dont une partie montée sur des missiles Jericho III ». Puisqu’on espère encore négocier un cessez-le-feu à Gaza, pourrait-on en profiter pour décréter une trêve dans la guerre des slogans mensongers ?
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.