Rouyn-Noranda, mine d’or culturelle

« C’est le plus beau métier du monde ! » s’écrie Raymond Devos dans son monologue intitulé L’artiste. Ce texte habile raconte l’histoire d’un artiste qui tente de se tenir debout sur les planches d’une scène comme s’il s’agissait d’un radeau en pleine mer. C’est aussi dans ce numéro poético-comique qu’on peut entendre ce passage amusant et malheureusement vrai : « Mesdames et Messieurs, la planche pourrie sur laquelle j’ai eu l’honneur de sombrer pour la dernière fois devant vous ce soir était sponsorisée par le ministère de la Culture ! Et il coule avec la subvention ! »

Mais laissons là le génie comique de Devos et l’importance de subventionner les artistes, ce sera certainement le sujet d’une autre chronique un jour, n’en doutez point. Revenons plutôt au sens de la première phrase. Je suis une artiste et je suis persuadée que j’exerce le plus beau métier du monde.

Grâce à ce travail marginal, j’ai voyagé en France, en Belgique, en Italie, au Royaume-Uni, en Suisse. J’ai vu l’Ouest canadien, j’ai arpenté le Québec de long en large. Chaque fois, j’ai rencontré des gens passionnés, amoureux des arts et convaincus de l’importance fondamentale de la culture.

C’est donc à l’occasion du Festival d’humour émergent (le FHE) que je suis retournée en Abitibi-Témiscamingue, plus précisément à Rouyn-Noranda. C’est de cette fabuleuse ville que j’ai envie de vous parler aujourd’hui. Située à près de 630 km au nord-ouest de mon Montréal natal, cette cité minière au coeur de la forêt, accrochée aux rives du lac Osisko (qui signifie « rat musqué » en algonquin), où des Autochtones ont vécu pendant plus de 8000 ans avant l’arrivée des colons, où la société industrielle du début du XXe siècle a découvert des sols si riches qu’elle a éventré la terre pour en extraire les métaux précieux, est devenue au fil du temps une perle de dynamisme culturel.

Ces derniers temps, quand les médias parlent de Rouyn-Noranda, c’est avant tout pour en relater les problèmes environnementaux dus aux émissions d’arsenic reliées à l’activité de la fonderie Horne. À juste titre, on surveille les faits et gestes de la multinationale Glencore, propriétaire de l’usine. On s’inquiète de savoir si la ville peut survivre à une éventuelle fermeture du complexe industriel. La production de cuivre a longtemps été le gagne-pain de toute la région. À tel point qu’un centre de la petite enfance situé à quelques centaines de mètres de la fonderie porte le nom d’Anode magique, en référence aux anodes de cuivre produites à l’usine.

C’est par le truchement de l’oeuvre de Richard Desjardins, en 1990, que j’ai découvert l’existence de la fonderie, dans la sublime chanson Et j’ai couché dans mon char.

« J’entends la fonderie qui rushe / Pour ceux qui l’savent pas / On y brûle la roche / Et des tonnes de bons gars / Les grandes cheminées / Éternelles comme l’enfer / Quand le gaz m’a pogné / Chu v’nu tout à l’envers / Entendez-vous la rumeur / La loi de la compagnie ? / “Il faudra que tu meures / Si tu veux viv' mon ami.” »

C’est donc tout naturellement qu’en arrivant à Rouyn-Noranda, j’ai voulu voir la fonderie de plus près. Impossibles à rater, les grandes cheminées dont parle Desjardins dominent la ville. Un peu à la manière de la tour Eiffel, elles nous servent de repères quand on se promène dans les rues. Mais c’est justement en m’y promenant que j’ai découvert bien plus qu’une ville industrielle. Tout d’abord, j’ai croisé des dizaines de peintures murales et de sculptures. Une recherche rapide sur le joli site Internet de la Ville permet de découvrir qu’il s’agit d’un circuit d’art public dont les oeuvres ont été réalisées par des artistes locaux.

Au fil de mes déambulations, je découvre le bar-librairie Livresse. Un lieu coloré, calme et invitant, où l’odeur des livres neufs se mêle à celle d’un espresso fraîchement coulé. Derrière le comptoir, la propriétaire et une employée, venue de France spécialement pour vivre et travailler à Rouyn-Noranda, me confirment que la vie culturelle y est foisonnante.

D’ailleurs, il me suffit d’attraper le programme du Théâtre du cuivre pour découvrir la variété des artistes qui y sont invités à longueur d’année. Ensuite, je tombe sur la programmation riche et diversifiée du Petit Théâtre. J’en profite aussi pour manger à une terrasse de la rue Principale, devenue une zone piétonne pour l’été. On s’affaire à monter de petites scènes extérieures sur lesquelles se succéderont des artistes pendant la belle saison.

Je suis subjuguée par cette ville de quelque 43 000 habitants, dont les cafés, les bars et les parcs se transforment en scènes permettant d’offrir de la culture pour tous les goûts et tous les budgets. Lorsque je demande aux gens ce qu’ils pensent de la fonderie, tous semblent entretenir une relation d’amour-haine avec la bête. Mais si je leur demande de quoi ils sont le plus fiers, tous me répondent que c’est de la vitalité culturelle de leur ville.

Il y a de quoi être fier ! Depuis plus de quarante ans, Rouyn-Noranda a vu son offre culturelle exploser, avec des figures de proue comme le Festival de musique émergente (FME) et, depuis 1982, le célèbre Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue. Je vous laisse sur la citation qu’on peut lire sur une plaque à l’entrée du Théâtre du cuivre. Elle est de Serge Gainsbourg et contient une faute qu’on a jugé bon de laisser telle quelle et qui ajoute un peu de poésie.

« Ça, c’est le comble du snobisme : refuser Cannes, Venise, Berlin… et venir à Rouanda. Ça, c’est classe ! »

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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