Ne pas apprendre de ses erreurs
Lors de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste de cette année, la présidente intérimaire de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), Charlotte-Anne Malischewski, s’est déclarée « profondément préoccupée par la montée fulgurante de l’antisémitisme » qui s’observe au Canada depuis les attaques du Hamas sur Israël commises en octobre dernier.
« Lorsque la haine se présente dans nos communautés, elle menace la sécurité publique, la démocratie et les droits de la personne, a-t-elle tenu à rappeler. La haine nous divise et nous oppose les uns aux autres. »
Dans le contexte actuel, où la guerre à Gaza a fait de la communauté juive canadienne le bouc émissaire des critiques visant le gouvernement israélien de Benjamin Nétanyahou, on se serait attendu à ce que le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, s’efforce de trouver un digne successeur à Mme Malischewski pour occuper sur une base permanente ce poste se trouvant au sommet de la hiérarchie des instances des droits de la personne au Canada.
D’autant plus que la CCDP se verra octroyer de nouveaux pouvoirs en vertu du projet de loi C-63 sur les préjudices en ligne afin de déterminer la validité des plaintes concernant le contenu haineux. Le nouveau président de la CCDP doit lui-même être au-dessus de tout soupçon de parti pris pour ou contre tout plaignant qui s’adressera à la commission.
Or, en nommant Birju Dattani à la présidence de la CCDP, le 15 juin dernier, M. Virani semble avoir surtout cherché à plaire à l’aile progressiste du Parti libéral du Canada. La nomination de cet ancien directeur de la Commission des droits de la personne du Yukon et « défenseur de l’équité, de la diversité et de l’inclusion » rappelle celle d’Amira Elghawaby, devenue l’an dernier représentante spéciale chargée de la lutte contre l’islamophobie, qui s’est vue hantée par ses écrits considérés comme antiquébécois après l’annonce de sa nomination.
Mme Elghawaby s’est vite excusée. Mais son acte de contrition a aussitôt été remis en doute par les politiciens québécois, et sa crédibilité en a irrémédiablement été entachée. Si elle a pu garder son poste, elle est toutefois devenue quasi invisible depuis son entrée en fonction.
Le cas de Birju Dattani est beaucoup plus grave. Selon les révélations publiées cette semaine dans les médias torontois, le passé de cet ancien président de l’Association des étudiants musulmans de l’Université de Calgary est semé de propos antisémites et d’associations douteuses. Alors qu’il étudiait à Londres, en 2012, il a participé à une manifestation devant l’ambassade d’Israël au cours de laquelle les manifestants répétaient le slogan « le sionisme, c’est du terrorisme ». En 2015, alors qu’il était chargé de cours dans la capitale britannique, il a participé à une conférence aux côtés d’un membre du groupe fondamentaliste islamiste Hizb ut-Tahrir, qui prône la charia et que le gouvernement britannique a inscrit sur sa liste des organisations terroristes prohibées cette année.
Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes ne demande rien de moins que le retrait de sa nomination. Selon l’organisme, M. Dattani « a partagé des articles comparant Israël à l’Allemagne nazie, a participé à une table ronde au Royaume-Uni avec un membre du Hizb ut-Tahrir, […] qui cherche à établir un nouveau califat et s’oppose à l’existence d’un État israélien, et a donné à plusieurs reprises des conférences sur le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) lors de la Semaine contre l’apartheid israélien dans des universités britanniques ».
Le bureau d’Arif Virani a plaidé l’ignorance en disant que M. Dattani ne l’avait pas informé de ses gazouillis controversés ou de son militantisme anti-Israël lors du processus de nomination à la présidence de la CCDP. À l’époque où il vivait à Londres, M. Dattani utilisait un autre prénom. Cela n’épargne toutefois pas le ministre d’être accusé d’avoir failli à la tâche de procéder à des vérifications rigoureuses avant de le nommer.
M. Virani promet maintenant d’effectuer un examen officiel de la nomination de M. Dattani avant le 8 août, soit la date de son entrée en fonction à la tête de la CCDP, et de rendre le rapport de cet examen public. Pour sa part, M. Dattani s’est excusé cette semaine dans une entrevue au Globe and Mail, où il reconnaît que ses propos et ses gazouillis antérieurs ont pu blesser des membres de la communauté juive. « Je ne le ferais pas maintenant », a-t-il souligné, en précisant que son opinion avait « évolué » depuis.
Tant mieux si Birju Dattani reconnaît ses torts. Sa nomination reste néanmoins irrecevable. Après tout, il a manifestement essayé de cacher ses propos antérieurs aux membres du bureau du ministre de la Justice, qui lui ont certainement demandé, lors du processus de nomination, de leur faire part de toute information potentiellement compromettante sur son passé. Les Canadiens doivent pouvoir croire en l’impartialité de la CCDP pour que cette instance conserve la crédibilité nécessaire au bon accomplissement de sa fonction critique, qui est celle de protéger la population canadienne contre la discrimination.
Quant au gouvernement de Justin Trudeau, disons que la nomination de M. Dattani est un autre exemple d’un excès de zèle progressiste, qui se retourne encore une fois contre lui. Disons qu’il ne semble pas apprendre de ses erreurs.
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