Vos gueules, les mouettes!

Une vue du fleuve Saint-Laurent au coucher du soleil, à Montréal
Photo: Getty Images Une vue du fleuve Saint-Laurent au coucher du soleil, à Montréal

Nous observions le Vieux-Montréal, sa grande roue qui nous fait tourner la tête, les lumières de la nuit vues de l’île Sainte-Hélène, les remous du fleuve à nos pieds. La statue de Calder derrière nous, cette gigantesque pieuvre, semblait vouloir sauter à pieds joints dans l’eau. « Ah ! Ce qu’on est bien au Québec ! » J’ai souri à Michael, un Français établi à Montréal depuis neuf ans, devenu canadien et pas du tout nostalgique du pays natal. On le croit sur parole. Parle parle, jase jase, il m’a demandé ce que j’allais écrire vendredi dans mon « journal local » : « J’ai encore le temps, on est samedi soir… »

J’ai menti. Mon dernier sujet avant les vacances était mûri depuis des semaines. Mais je n’allais pas lui balancer le titre : vos gueules, les mouettes ! Un Français, même canadianisé et amélioré, se sent visé. Neuf ans au Québec, c’est l’équivalent d’une quatrième année. Tu ne sais pas qu’icitte on ne dit pas freelance, on dit « pigiste », et ce n’est pas le week-end, c’est la fin de semaine. Tokébakicitte.

Et puis il aurait fallu encore parler et expliquer, gaspiller ma salive pour des causes perdues. J’ai envie de me taire, de me saouler de silence. Icitte, au Québec, nous avons un fond « homme des bois » qui a compris qu’on s’épuise à s’expliquer pour être compris tout de travers. Les résultats sont au mieux acceptables, souvent médiocres. Mieux vaut faire l’amour, en fin de compte. On comprend l’essentiel. Du moins, quand c’est bien fait.

Nous nous sommes laissés sur cette jolie carte postale, après un concert de Polo & Pan. J’avais invité mon ex-coloc Maria à célébrer son 33e anniversaire au Piknic Électronik. J’étais assurément la plus âgée sur le site à vol de drone. À vol de mouette aussi. Mais pas celle qui dansait le moins. Entre une soirée d’été pluvieuse au parc Jean-Drapeau et une sortie à Wilfrid, je choisis la première. On a dansé sur Singin’ in the Rain version électro. Porqué no ? Et pendant qu’on danse, on se tait.

Vous ouvrez le livre un vendredi soir, vous atteignez la dernière page un dimanche dans la nuit. Après, il faut sortir, retourner dans le monde. C’est difficile. C’est difficile d’aller de l’inutile, la lecture, à l’utile, le mensonge.

Il est où le silence, il est où ?

Tu vois, Michael, icitte, on prend plaisir à se reposer dans le néant. Moins on en dit, plus on passe pour intelligent. Ou l’inverse. On attribue à Abraham Lincoln (ou à Coluche) cette phrase célèbre : mieux vaut rester silencieux et passer pour un imbécile que parler et n’en laisser aucun doute.

Cet été, je me promets de la contemplation. J’observerai les nuages de mon balcon et ça me suffira. « La vie est bruyante et seule la mort est silencieuse », écrivait Jacques Attali dans Bruits.

Je vais me perdre dans les livres, et j’ai commencé par Le choix de se taire du journaliste et animateur Stéphane Garneau, un excellent essai sur le bruit, le silence, mais aussi sur la rumeur constante des réseaux sociaux dont nous abusons. Après avoir lu cette phrase, je vais prendre une pause : « Nous sommes en colère sans trop savoir pourquoi. »

Je vais m’éclipser et rejoindre les 71 % de gens qui fréquentent les réseaux sociaux sans participer à la discussion, des watcheux, des flâneurs (selon un sondage Crop). « L’indignation et la colère sont le carburant de la conversation publique », ajoute Stéphane. Et comme lui, je veux retrouver ma concentration et une forme de sérénité.

Je veux terminer le dernier Robert Lalonde, On est de son enfance, et contempler le silence avec cet écrivain qui utilise toujours la plume et le papier : « C’est se faire tuer par méprise que de se laisser prendre au piège de la nécessité, de tenter de légitimer, aux yeux des autres comme à nos propres prunelles, une raison d’être qui vite comptera pour du beurre. » Je suis à court d’explications.

Je n’en peux plus de ces arguments à n’en plus finir, de ces batailles d’ego et de ces derniers mots. 29 % qui s’égosillent, on dirait un taux de participation aux élections dans une dictature. J’aurais dû avoir la sagesse de me retirer avant.

« Si un rien vous enchante c’est aussi parce qu’un rien peut vous anéantir », écrit Bobin dans La part manquante. Je me suis racheté du Bobin ; je les avais tous donnés, quelle étourderie. N’importe lequel de ses petits livres de chevet fait l’affaire, pour quelques phrases pénétrantes glanées au hasard : « Ce qui éclaire notre vie, ce n’est rien que l’on puisse dire, ou tenir. Ce que l’on dit se tait. Ce que l’on tient se perd. »

Il me manque des mots. J’ai l’impression qu’en général, le langage humain est une chose très pauvre.

Contempler avec Dieu

Je me réfugie dans les livres et la contemplation, parce que les réponses sont toutes là. Bobin a écrit de magnifiques lignes sur la contemplation, parlant de la lumière qui passe. « Vous ne savez rien de mieux à faire dans votre vie, que ce regard qui va à l’infini, délivré de lui-même. Il y a une beauté qui n’est atteinte que là, dans cette grande intelligence proposée à l’esprit par le temps vide et le ciel pur. » Il a intitulé ce texte Les preuves en miettes de l’existence de Dieu.

Dans Les chants perdus de la nature, le biologiste Michel Leboeuf, qui s’intéresse à l’écologie acoustique, nous rappelle que l’ingénieur du son, c’est le vent, et que « l’humain est un musicien qui joue trop fort et ne suit plus la partition […] Chaque jour, la symphonie du vivant s’amenuise, perd texture et richesse en proportion de chaque mètre carré empiété par Homo sapiens à la surface de la planète. Il faut s’intéresser à la chose, avant de la perdre ».

C’est dans ce livre que j’ai appris la différence entre géophonie (les sons naturels, la pluie, le vent), biophonie (les sons émis par des organismes vivants, oiseaux, animaux) et anthropophonie (les sons humains, Piknic Électronik, etc.).

Je ne participe jamais à la discussion. Confronté à cette impression de ne pouvoir quitter l’échange avant d’avoir remporté un argument, je choisis de me taire. On ne peut rien dire dans le bruit. Il faudrait hurler.

Et j’ai relu au complet un essai auquel je m’accroche comme une bouée pour faire taire un autre bruit, celui des mouettes qui crient rauque en moi. Revenir au vide et au silence intérieur avec Les bienfaits du silence du moine Thich Nhat Hanh (j’en ai parlé ici en janvier dernier) : « Vous devez vous accorder assez d’espace et de calme pour être libre […]. Parfois, nous croyons être silencieux parce qu’autour de nous il n’y a aucun bruit ; mais à moins de calmer notre esprit, le bavardage continue intérieurement. Ce n’est pas le silence véritable. »

Ta gueule, Blanchette. On se retrouve au mois d’août.

cherejoblo@ledevoir.com

Instagram : josee.blanchette

Aimé La saison du lion d’Ariane Beaudry, Lion ascendant Lion, Emo ascendant Disco, de la poésie libre d’une fille qui tente de devenir adulte sans y arriver tout à fait. C’est très actuel, elle parle des « choses qui vivent rent free » dans sa tête, comme le fait qu’elle soit triste de ne pas faire le Centre Bell. Si vous n’aimez pas les Piknic Électro, pas certaine que vous apprécierez. À vos risques, mais ça se lit très vite avec un jus de melon bien glacé.

Dégusté la plume si délicate et élégante d’Hugues Corriveau dans Autour de l’enfance, des nouvelles plutôt brèves qui tournent toutes autour de la candeur, la douceur, la cruauté ou la magie de l’enfance. La nouvelle est mon amie d’insomnies, même l’été. Et je me rendors heureuse.

Retrouvé Gabriel García Márquez dans Nous nous verrons en août, petit roman inédit publié post-mortem. J’ai dévoré ce livre si fidèle à cette plume unique. J’ai même racheté Cent ans de solitude parce que je l’ai probablement perdu dans un divorce. Le maître Gabo nous charme une fois de plus sous le ciel des Caraïbes, où de jeunes métisses chantent des boléros tristes. Il fait chaud, c’est sensuel et moite. Sortie le 17 juillet.

Pris le large jusqu’à la fin août. Passez un été à défaire plutôt qu’à faire. C’est la grâce que je vous souhaite, même si ce n’est pas viral.

JOBLOG — Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles

La salle de cinéma était majoritairement occupée par de vieilles dames qui ont connu les soeurs à cornettes et les curés pas toujours chastes. Le film de Lyne Charlebois Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles attire peut-être un public plus âgé, qui sait qui est le frère Marie-Victorin, qui est déjà allé au Jardin botanique. Mais il a le charme de ces films intemporels évoquant notre histoire, l’amour, le désir, la communion, la sexualité, la biologie et la nature. J’ai tout aimé de ce film où l’innocence d’une époque est peut-être le véritable sujet. Chose certaine, le frère Marie-Victorin (Alexandre Goyette) et sa muse Marcelle Gauvreau (Mylène Mackay) nous font découvrir une forme d’amour rare et précieuse : l’union mystique. https://bit.ly/45V4fn1

À ceux qui voudraient prolonger poésie et plantes, histoire naturelle et anecdotes botaniques, le délicieux livre d’Anaïs Barbeau-Lavalette, dessiné par la talentueuse Mathilde Cinq-Mars, Nos fleurs, permet de mieux connaître la verge d’or, la molène, le coeur saignant et la bardane. Un beau cadeau d’été.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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