Donald Trump en spectacle
Qu’une actrice porno puisse susciter l’optimisme au milieu d’une campagne électorale salie à ce point par la rhétorique de Donald Trump paraîtra peut-être paradoxal. Mais c’est bien ce que j’ai ressenti après la condamnation de l’ex-président par la Cour criminelle de Manhattan pour falsification comptable.
J’avoue qu’il y a eu d’autres composants juridiquement importants qui ont joué dans la décision des douze jurés, mais tout procès criminel reste un théâtre avec ses protagonistes — ses méchants et ses gentils, ses menteurs et ses honnêtes. Le récit et son intrigue — entendre ici les histoires racontées par les avocats des deux côtés — influent énormément sur le verdict. Un élément primordial est la crédibilité des témoins, autrement dit, des acteurs. Lorsque le rideau s’est levé pour le rappel, la vedette du X Stormy Daniels a paru plus crédible que l’ancienne vedette de téléréalité.
Comment expliquer sa victoire peu plausible contre un milliardaire qui se vante d’avoir été formé aux meilleures écoles ? À la lecture du témoignage de Mme Daniels, on est tout de suite frappé par la force de ses paroles en comparaison avec les balbutiements crachés par l’accusé après les réunions de la cour.
Stormy Daniels est tout sauf une gosse de riche comme Trump. Pur produit de la classe ouvrière, elle a grandi à Bâton Rouge, en Louisiane et, malgré les difficultés financières de sa mère célibataire, il semble qu’elle ait réussi ses études, démontrant au lycée un talent pour le journalisme, l’ingénierie, le ballet et l’équitation.
Mais la vie américaine est dure pour les filles pauvres et négligées — « ma mère […] disparaissait pendant des jours ». Mme Daniels a décliné une bourse d’une école vétérinaire en partie parce qu’elle poursuivait depuis l’âge de 17 ans le métier de danseuse exotique. « Je pouvais gagner plus en deux nuits que ce que je gagnais en pelletant le fumier huit heures par jour » dans une écurie.
Désireuse d’augmenter ses revenus de striptease, elle a vite compris qu’il lui fallait obtenir des références glamour, soit en posant nue pour des magazines, soit en faisant de la compétition ou du cinéma porno. Jouer dans des films était payant, mais se coiffer des chapeaux de scénariste et de réalisatrice sous contrat pour Wicked Films l’était plus encore. C’est sous ce jour qu’elle a rencontré en 2006, à Lake Tahoe, le grand homme qui s’est exclamé : « Oh, vraiment, vous réalisez aussi ? Vous devez être intelligente. » Et comment !
Allergique aux réflexions à long terme, Trump ne s’est pas méfié. Son garde du corps a invité Mme Daniels à dîner et cette dernière, encouragée par sa publicitaire, a fini par accepter, se disant peut-être que les observations d’un homme riche qui animait sa propre émission de télévision pourraient lui être utiles. C’est dans ce contexte qu’elle a pu apprécier les perspectives haut de gamme du génie des affaires autoproclamé.
Selon Stormy Daniels, en entrant dans son immense chambre d’hôtel, elle s’est moquée de sa tenue : pyjamas de soie ou de satin. « Est-ce que M. [Hugh] Hefner sait que vous avez volé ses pyjamas ? » lui a-t-elle demandé. Elle lui a fait revêtir pantalon et chemise, après quoi il lui a posé maintes questions sur les « aspects business » du cinéma porno, ce qu’elle a dit trouver « cool ». En revanche, se souvient-elle, « il me coupait la parole comme s’il voulait marquer un but contre moi, ce qui était hilarant, quand vous y songez ». En effet, chercher à avoir le dessus sur une stripteaseuse de 27 ans était bizarre pour un futur président.
Après ces interminables palabres, on n’avait toujours pas servi à dîner, et Mme Daniels avait faim : « Êtes-vous toujours aussi impoli, arrogant et pompeux ? » se souvient-elle lui avoir lancé. Je vous épargne la « séduction » et les rapports sexuels qui ont suivi, à l’exception d’un commentaire condescendant de Donald Trump mettant au défi Stormy Daniels de prouver le sérieux de son envie de « quitter son parc à roulottes ». Il suffit de savoir que Daniels n’a jamais soupé avec lui et que quand elle est sortie de la chambre à coucher, Trump lui aurait dit : « Nous devrions nous revoir. Nous étions fantastiques ensemble. Je veux vous mettre sur le show. »
Il était loin de se douter que le « show » se produirait 18 ans plus tard, en direct d’une cour criminelle.
Trump n’a pas témoigné pour sa défense. On ne peut donc pas vraiment savoir ce qui se passait dans sa tête lorsqu’il regardait son amante de passage le détruire méthodiquement. On peut quand même soupçonner qu’il en aura été profondément humilié. Il manquait au Trump de l’après-verdict son élan habituel. Peut-être songeait-il encore à Michael Cohen, son avocat traître. Citant son ancien patron, ce dernier a révélé en cour que Donald Trump pensait que, si sa liaison avec Daniels devait sortir publiquement, « les femmes [allaient le] détester ; les mecs [allaient] peut-être penser que c’était cool ». Ce qui n’est pas très cool : le sondage Reuters/Ipsos réalisé au lendemain du procès dans lequel 17 % des électeurs se disent plus susceptibles de voter pour Trump ; 24 % moins susceptibles.
« Vous avez aussi joué et réalisé plus de 150 films pornographiques […], donc vous avez beaucoup d’expérience dans l’art de rendre réelles des relations sexuelles bidon », avait lancé son avocate à Stormy Daniels, lors du second jour de son témoignage marathon. « Le sexe dans les films, c’est très réel. Comme ce qui s’est passé dans cette chambre », avait répliqué l’actrice, du tac au tac.
Était-ce la première fois dans la vie de Trump que le réel se présentait de façon si authentique ? Si oui, pardonnez-moi, mais je ne peux m’empêcher d’y voir le début de la fin de sa comédie, et ce, malgré le fiasco de Biden au premier débat.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.