Changement de garde à Londres

Au Royaume-Uni, un épisode de 14 années de gouvernements conservateurs tire à sa fin. Après cinq premiers ministres différents dans un intervalle de six ans, un référendum sur l’indépendance en Écosse, la folle cavalcade du Brexit et de l’après-Brexit avec son cirque parlementaire. Plus la déception économique qui a suivi la séparation d’avec l’Europe (regrettée aujourd’hui par plus de 60 % des Britanniques). Sans oublier Boris Johnson, qui a transformé la politique en vaudeville, avec ses scandales à répétition.

La fatigue, l’usure du pouvoir font très mal. Rishi Sunak, premier non-blanc à diriger le Royaume-Uni, se prépare à la pire dégelée de toute l’histoire du Parti conservateur, et même de 200 ans de parlementarisme britannique.

Les sondages unanimes annoncent une majorité sans précédent en faveur du Parti travailliste le 4 juillet.

En pourcentages de voix, le Labour reste depuis trois mois dans une fourchette variant entre 41 % et 45 %, alors que les Tories végètent entre 20 % et 23 %. Un troisième larron monte en flèche depuis un mois, achevant de saigner le Parti conservateur par son flanc droit : le Reform UK, de Nigel Farage.

Ce précurseur du Brexit (qu’il prônait déjà il y a 25 ans), recyclé en héraut de la droite nationaliste radicale, ne semble pas, lui, pâtir des déceptions du Brexit. Monté à 16 %-17 %, contre 10 % il y a trois mois… il ne franchit pas pour autant le « mur de la représentation », si cruel dans le système uninominal à un tour.

La semaine dernière, les instituts YouGov, IPSOS et Savanta y sont allés — chose relativement nouvelle avec ce type de système électoral — de projections en sièges. Elles donnent au Parti travailliste de Keir Starmer un nombre supérieur au record de 418 (Tony Blair en 1997).

Le sondage Savanta — se basant sur un échantillon exceptionnel de 18 000 personnes — prédit même 516 sièges (sur 650) aux travaillistes et seulement 53 aux conservateurs. Le premier ministre perdrait sa circonscription, fait sans précédent dans l’histoire britannique.

Le grand paradoxe de ce raz de marée annoncé… est qu’il n’y a absolument pas de vague idéologique de gauche au Royaume-Uni (comme il n’y a probablement pas, non plus, de vague idéologique de droite en France).

Le parti de l’alternance ne fera, le 4 juillet, que « ramasser », un peu par défaut, le pouvoir à ses pieds.

C’est surtout un vote « contre ». Contre un parti répudié par les trois quarts ou les quatre cinquièmes de la population.

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Avec Jeremy Corbyn, le prédécesseur de Starmer à la tête des travaillistes, qui, lui, était un socialiste radical, il y avait une vraie différence, un choc idéologique.

En comparaison, le nouveau chef du Labour est un conservateur. Après son arrivée en 2020, il a purgé une formation qui avait dérivé à l’extrême gauche et avait été accusée d’antisémitisme : Corbyn lui-même a payé cette dérive d’une expulsion.

Le Labour métamorphosé n’a rien à voir non plus avec le Nouveau Front populaire en France. Starmer insiste sur son patriotisme, reconnaît et respecte les préoccupations sécuritaires des Britanniques. Il veut renforcer les effectifs des douanes, « contrôler correctement les niveaux d’immigration ».

Certes, il va annuler le fameux et très décrié « plan Rwanda » des conservateurs (l’expulsion automatique vers l’Afrique, en accord avec le gouvernement de Kigali, des migrants irréguliers arrivés par la Manche)… mais pour le reste, il est d’une extrême prudence et promet le moins possible.

Il ne veut pas augmenter les taxes et les impôts (sauf pour quelques niches immobilières et pétrolières) et insiste sur la discipline budgétaire. Il ne fait pas de promesses d’investissements majeurs immédiats dans les services publics — qui en auraient pourtant bien besoin. Mais les caisses sont vides, et il le sait. Un de ses slogans : « Make U.K. Serious Again. »

C’est très différent de la gauche française, accusée de « rêver » et de « planer », avec ses généreuses promesses, au-dessus de la réalité budgétaire… comme d’ailleurs le Rassemblement national, plutôt de gauche de ce point de vue spécifique.

Cette chronique fait relâche pour l’été. De retour le 19 août. Pour rejoindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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