Un chalet sur le bord de quelque chose
Comme la plupart des urbains, je suis toujours un peu en mal de nature, vampire de chlorophylle, d’un lac étale et d’air satiné. Lors d’un souper d’amis, l’autre soir, j’ai lancé à la blague que l’argent de mon chalet était passé dans les fondations et les murs qui tiennent ma maison debout. Je me demande parfois pourquoi nous n’avons pas le réflexe de nous mettre à plusieurs pour partager l’achat d’un chalet.
Un autre convive a introduit dans la discussion la question des vieux jours. Où aimerions-nous les passer ? Bien sûr que la perspective d’une jolie maison au bord du fleuve, d’un champ ou d’une vallée est tentante. Mais passe-t-elle le test de la déprime d’un petit mardi de février ? Pour la casser, je peux aller voir un film au Cinéma Beaubien (pas un blockbuster), puis sur un coup de tête bifurquer jusqu’au resto tibétain pour dévorer une assiette de momos. Tout ça pour pas très cher, en déambulant dans ma ville, bien plus jolie sous la neige. J’attraperai le bus ou le métro au retour — pas besoin de la voiture, ni de tout prévoir à l’avance. Avec ma lampe de luminothérapie et ces petites virées improvisées, oui, je peux endurer l’hiver. Le somptueux cinéma muet d’une vallée de campagne enneigée devant le rideau de la nuit qui tombe à 16 h suffirait-il à combler l’urbaine surstimulée que je suis ?
Comme le chanteur de Comment Debord, « j’aurais tellement tellement aimé ça / Que mes parents aient un chalet / Sur le bord de quelque chose ». Mais en attendant, à dix minutes de la maison, de l’autre côté du boulevard Pie-IX, il y a les poumons verts de Rosemont, cet espace double constitué du parc Maisonneuve et de son voisin fleuri, le Jardin botanique que j’ai mis beaucoup trop de temps à apprivoiser — c’est la pandémie qui m’a décoincée.
Avant de m’y rendre, je croyais à tort que le Jardin, c’était des gens qui allaient s’entasser dans une serre humide et surchauffée pour admirer des cactus et des papillons. Je n’avais pas encore découvert l’arrière-décor à ciel ouvert de ce rêve éveillé, un jardin surréaliste de fleurs improbables, habité par les canards, grenouilles, tortues, renards. Et je ne vous ai même pas encore parlé des moutons dont je m’occupe depuis quatre ans au Repaire de Biquette. En hiver, lorsqu’ils repartent à la ferme, il m’arrive d’aller skier autour de la bergerie. Le blanc de la neige contre le blanc crémeux-doré de leur laine… Pour moi, l’âme du parc Maisonneuve, c’est ce troupeau de vingt brebis, béliers, agnelles et agneaux revenus la semaine dernière. Quel bonheur de les retrouver bien gras et froufrouteux.
Samedi dernier, il pleuvait doucement. Maya et moi avons enfilé nos impers et chapeaux et sommes allées quand même au Jardin botanique puisque, quand il pleut, on l’a presque à nous toutes seules. Petit secret d’initié : il faut entrer par la porte arrière sur Rosemont, près de la 29e avenue, pas sur Sherbrooke, c’est là que la magie se cache. Durant deux heures, on oublie tout. Le temps qui passe, nos cellulaires, les bruits de la ville, nos obligations et autres contrariétés. Tout à coup, on passe de l’autre côté du miroir, on s’engouffre dans le vert.
Dans un étang, seul et impérial, un jeune héron laisse la pluie caresser son plumage. Ce héron, c’est mon père qui me fait un clin d’oeil. Lorsqu’il nous a quittés il y a deux ans, je suis allée me réfugier au jardin. Cette fois-là, une chouette m’a frôlée en prenant son envol. Le souvenir de mon papa est abrité sous l’aile des grands oiseaux du Jardin.
Un peu plus loin, des bernaches paressent près d’une étendue d’eau tapissée de nénuphars à leur faîte. Sur un bosquet de fleurs jaunes, un cardinal chante et sautille, éclatant, écarlate. Dans le Jardin des Premières-Nations, les tournesols ont éclos, mais c’est un bourgeon encore tout vert aux pétales tendres retournés contre son coeur qui capte notre attention. Je l’intitule La promesse, car, dans cette fleur, il y a un poème.
Nous entrons dans une petite enclave pour admirer de plus près un arbre aux bras comme des serpents, pendant qu’une plante aux larges feuilles-parapluie balaie nos mollets. Un peu plus loin, un épi jaune et rouge ressemble à un Popsicle. On s’extasie devant des iris couleur pop-corn et un pompon mauve qui éclate comme un feu d’artifice : étoile de Perse, Amaryllidaceae. Le vrai nom des fleurs est inscrit sur des plaquettes discrètes.
Alors que notre promenade tire à sa fin, nous reparlons de ce fantasme d’un retour à la terre et de la récente chronique de Josée Blanchette sur sa migration à Saint-Charmant qui s’est soldée, quelques années plus tard, après le choc du réel, par un retour à la ville. Il arrive que la petite maison au bout du rang ne soit pas l’endroit rêvé que l’on pensait, c’est un point de vue que l’on nous donne moins souvent à lire.
Je repense à cette histoire de la formidable nouvelliste américaine Shirley Jackson, Les vacanciers. Un couple bobo décide de prolonger l’habituel séjour estival à la maison de campagne jusqu’à l’automne. Il réalise peu à peu — trop tard, cependant — que les sympathiques locaux ne tolèrent pas les urbains et autres néoruraux pas plus de trois mois par année. Ne se fond pas dans le paysage bucolique qui le désire…
Un éclair roux nous interrompt : jeune renard haut sur pattes qui passe en courant, étirant chaque foulée au maximum de sa longueur. Mon amie Élise Turcotte, écrivaine et amie des animaux, se désole de ne jamais l’apercevoir. Pour faire apparaître le renard, il y a deux stratégies : 1) Ne pas penser à lui (car il préfère surprendre et éblouir) 2) Lui consacrer un poème ou un roman.
Le Devoir a invité ses lecteurs à parler de leurs parcs préférés et j’ai hâte de me balader dans vos mots pour découvrir à mon tour les secrets de vos coins de paradis. Non, je n’ai pas de chalet « sur le bord de quelque chose », mais à dix minutes de chez moi, il y a ce lac de verdure et de vie grouillante dont je repars chaque fois apaisée, le coeur léger. Une certitude : mon parc me manquerait si un jour je quittais la ville.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.