Bilan boursier en deux teintes

Le bilan boursier après six mois en 2024 reste bigarré, avec un découplage toujours prononcé entre les performances des indices de référence canadien et américain. Pourtant, le secteur pétrolier n’a-t-il pas toujours la forme au Canada ?

L’indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto inscrit une hausse de quelque 4 % après six mois, contre 15 % pour le S&P 500. L’écart se creuse donc dans ce jeu des comparaisons, après une performance 2,5 fois supérieure de l’indice de référence américain l’an dernier.

Certes, la première explication vient de la composante respective des indices. Pour ce qui est de leur poids, les valeurs technologiques dominent les 20 premières positions de l’indice américain, où ne sont présents qu’une institution financière et deux géants pétroliers. Au Canada, en date du 25 juin, les institutions financières et les grandes pétrolières se partageaient quelque 70 % de ces 20 premières positions selon la capitalisation boursière. On y retrouve une seule compagnie dite technologique, issue du domaine des logiciels.

Cette année, le secteur de l’énergie et celui des mines et métaux affichent pourtant parmi les plus fortes progressions, mais la performance des titres technologiques — avec la présence de ce que les analystes appellent les « sept magnifiques » — se veut encore plus vigoureuse sous l’impulsion de l’essor exponentiel de l’intelligence artificielle.

Découplage techno

Dans une étude publiée le 1er mars dernier, Robert Kavcic, économiste principal et directeur économique chez BMO Marchés des capitaux, l’a bien résumé : « La vieille vérité est que les indices boursiers canadiens n’ont souvent tout simplement pas beaucoup d’exposition à ce qui fonctionne, et cela ne pourrait être plus vrai aujourd’hui. »

Il mentionne notamment le poids trois fois plus élevé dans l’indice américain des secteurs de la technologie, des services de communication et de la consommation discrétionnaire, qui ont été de grands catalyseurs de performance une fois intégré l’impact de la remontée des taux d’intérêt. Une analyse de la Banque Royale relève que Nvidia, grosse vedette de l’heure dans l’IA, compte pour 33 % du gain du S&P 500 après six mois. Également, six des sept autres titres revendiquant 38 % de la progression de l’indice viennent de l’univers de l’IA.

Le tout a été exacerbé par un désintéressement des investisseurs étrangers. « Selon les données les plus récentes, les investisseurs étrangers se sont délestés de 37 milliards de dollars d’actions canadiennes au cours des 12 derniers mois, une tendance qui est en place depuis le début de 2023 », ont souligné les économistes de la Banque Nationale dans leur survol boursier de juin.

Un secteur pétrolier pourtant en grande forme

Ce désaveu n’est pas sans masquer une activité pétrolière pourtant en grande forme au Canada, et ce, en pleine crise climatique. Tom Green, conseiller principal en matière de politiques climatiques à la Fondation David Suzuki, l’a bien illustré. « Les prix et les profits élevés du secteur pétrolier et gazier ont été les principaux facteurs à l’origine de la forte et récente inflation au Canada et dans le monde entier. Même avec la baisse des prix de l’essence, les profits pétroliers en 2023 étaient encore supérieurs de 30 milliards de dollars à ceux de la dernière année avant la pandémie », peut-on lire dans un courriel.

Et ce n’est pas fini. Marc Ercolao, économiste à la Banque TD, prévoit une croissance de la production pétrolière de l’ordre de 6 à 10 % en 2024. L’économiste reprend la cible de l’Association canadienne des producteurs pétroliers prévoyant une augmentation des dépenses en capital en amont d’un peu plus de 4 % cette année, après une croissance de 10 % en 2023. Et celle de l’enquête de Statistique Canada sur les intentions d’investissement, qui estime que l’industrie pétrolière et gazière dans son ensemble va augmenter ses dépenses en capital de 8,2 % cette année, après une croissance de 12 % l’an dernier, la majeure partie allant à l’expansion des opérations et de la production.

Mais globalement, sur le plan conjoncturel, ce découplage traduit une sous-performance de l’économie canadienne, avec une croissance du PIB réel de 1 % au cours de la dernière année, comparativement à environ 3,2 % au sud de la frontière. Pire, l’économie canadienne évolue en récession sur la base de son PIB par habitant. « La croissance démographique du Canada a été plus forte de plus de 2,5 points de pourcentage, laissant l’écart dans la croissance par habitant à un niveau encore plus large et historique de 4,8 points de pourcentage », calcule l’économiste de BMO. S’ajoute à l’explication une économie canadienne plus sensible aux taux d’intérêt, avec un endettement élevé des ménages et une croissance réelle des dépenses de consommation inférieure de 1,5 point à celle des États-Unis.

Plus important encore, « le Canada passe complètement à côté de la reprise de la croissance de la productivité au sud de la frontière ».

Bitcoin en haute voltige

Ah oui. Autre fait digne de mention dans ce survol de mi-année, le bitcoin a franchi la barre des 72 000 $US après avoir terminé 2023 autour de 42 000 $US, soit un bond de plus de 70 %.

Deux grandes explications à cette poussée spéculative. D’abord, l’approbation réglementaire aux États-Unis par la Securities and Exchange Commission, en janvier, d’un fonds bitcoin négocié en Bourse. Les analystes y ont vu à la fois un rapprochement de l’univers des actifs numériques dans un giron réglementé et une plus grande démocratisation de la cryptomonnaie par l’accessibilité offerte à l’investisseur moyen.

Ensuite, 2024 est une année de « halving », soit une division par deux de la prime liée au seuil du minage du bitcoin. Un événement qui survient grosso modo tous les quatre ans et qui vise à limiter le nombre total de bitcoins en circulation, voire à en renforcer la rareté, afin de maintenir ou d’accroître sa valeur. Les données historiques révèlent une tendance à la croissance explosive des prix du bitcoin après chaque événement de réduction de moitié, selon un rapport de la firme d’analyse spécialisée CoinGecko.

Pure spéculation que tout cela !

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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