Allégorie d’été en nord d’Amérique

Je reviens tout juste de mon périple saisonnier au parc national des Grands-Jardins. J’y vais presque chaque année depuis 25 ans. Nous avons tous nos lieux préférés, ces endroits qui deviennent chers à notre coeur. Voyez-vous, comme bien d’autres créatures, les humains sont des êtres d’habitude.

Vous pourriez penser qu’après tout ce temps, je me serais lassé de voir les mêmes sentiers, la même montagne, le même camping. Au contraire, la nature a cette capacité de nous émerveiller par sa beauté et sa faculté à se transformer. Je retourne toujours au même site de camping, celui de l’Étang Malbaie. Du camping sauvage, sans commodités, juste une toilette sèche, le strict minimum : le dépaysement total. Quoi de mieux pour se ressourcer ?

Parfois je pêche aussi, mais pas cette année, d’autant que le quota a diminué et qu’il est interdit de capturer l’omble chevalier. On en a discuté entre campeurs. Nous avons spéculé sur une baisse de la reproduction, peut-être à cause de la hausse de la température de l’eau.

Sans sources scientifiques ni données probantes, nous avons tout de même pu constater des changements visibles en quelques années. Heureusement, j’ai toujours cette photo de la magnifique prise de l’ami Justin au lac Pointu. Un omble chevalier de plus de deux livres. Ça tirait, comme on dit.

Je n’ai pas monté le mont du Lac des Cygnes cette année. J’avais envie de repos. Et puis, je voulais revoir un sentier exploré autrefois que je ne retrouve plus depuis des années. J’ai posé des questions aux responsables pour retrouver ce sentier introuvable sur les cartes. Personne n’a pu m’aider. Heureusement, j’ai aussi des photos de ce sentier. On m’a dit qu’il avait probablement été fermé pour permettre une régénération de la nature.

Cela me rappelle ma première montée du mont du Lac des Cygnes, en 1999. Il y avait à peine une trail dans le bois le long du ruisseau. À certains endroits, on devait presque pratiquer l’escalade. Aujourd’hui, un beau sentier que même un enfant de cinq ans peut emprunter permet de gravir le mont de 980 mètres d’altitude. Toutefois, pour les plus aventureux, il reste toujours la boucle du sentier Le Pioui, mais je me dis que, parfois, il vaut mieux garder un peu de rusticité pour préserver le caractère sauvage d’un lieu. Sinon, il perdra sa pleine saveur et on devra inévitablement en contrôler l’accès, car il deviendra trop populaire.

Ce brin de nostalgie m’a fait prendre conscience que je dois, moi aussi, m’adapter et abandonner certaines habitudes. J’en parlais d’ailleurs récemment, l’adaptation à la crise climatique implique de renoncer à des pratiques auxquelles nous tenons. C’est ce qui est le plus difficile à faire, individuellement parlant. C’est pour ça qu’on préfère que l’État décide à notre place, quitte à chialer en disant qu’on n’a pas voté pour ça, avant de rentrer dans le rang parce que les humains que nous sommes finissent toujours par s’habituer à tout.

C’est comme les bleuetiers dans mon potager. Ça fait dix ans que je les vois fleurir puis produire ce délicieux fruit sucré. Chanceux que je suis, les écureuils me laissent tranquille avec mon potager. Ça doit être un de mes privilèges d’ancien maire d’arrondissement, je suppose. Pourtant cette année, ces fameuses bêtes urbaines ont dévoré le poison à fourmis dans les pièges. Un conseil : ne cuisinez pas l’écureuil montréalais.

Alors, mes bleuets mûrissent de plus en plus tôt chaque année. Au début, c’était vers la fin juillet, mais maintenant, j’ai déjà dégusté les premiers. Nos ancêtres ne se baignaient pas avant la Saint-Jean-Baptiste, maintenant on mange des bleuets le 24 juin. J’oubliais que la zone de rusticité montréalaise avait changé, ce qui, naturellement, a un impact sur la flore. Je vais vérifier ce qu’il en est pour la zone du parc des Grands-Jardins, ce pays de l’ours noir qui est aussi un habitat naturel protégé du caribou forestier. On y retrouve aussi la taïga, la toundra, les végétations alpine et subarctique. Je suppose qu’il doit y avoir des données à ce propos.

Il faut croire que même l’Ixodes scapularis — la fameuse tique — y est désormais présent. Comme quoi même les pires insectes nuisibles, ceux dont on croyait être prémunis à certains endroits plus au nord, se propagent plus rapidement qu’on ne l’imagine. Un peu comme ce populisme belliqueux venu du Sud qui ignore les données sur les impacts des changements climatiques. Le tout sur un air de nostalgie d’une époque révolue.

C’est comme l’agrile du frêne, vous vous souvenez ? Par un drôle de hasard, j’ai la chance de posséder sur mon terrain un orme d’Amérique ayant survécu à la maladie hollandaise de l’orme, alors que juste en face, un frêne pousse naturellement depuis deux ans, intouché. Il doit y avoir quelque chose de spécial dans le sol. À moins que ce ne soit un autre de ces fameux privilèges d’ancien maire d’arrondissement.

Dans tous les cas, mon jardin de rue fleurit comme jamais avec ces pluies diluviennes. Plus besoin de l’arroser, contrairement à l’asphalte de mon voisin. Inlassablement, il l’arrose beau temps, mauvais temps. Il espère qu’il fleurira lui aussi, je suppose.

En ce début des camps de jour, je suis content de constater que la beauté de la nature continue de nous émerveiller et de nous surprendre. C’est un baume sur notre déprime collective nourrie par les multiples crises que l’on doit affronter. Oui, le Québec est éblouissant par sa biodiversité, et il faut en prendre soin, tout comme il faut prendre soin de notre nation qui s’incarne aussi dans ce territoire unique. Sur ce, je vous souhaite une bonne fête nationale, un peu en retard !

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo