Chaque 1er juillet

Le 1er juillet approche à grands pas et, franchement, je ne sais plus ce qu’il reste à dire, encore, sur la crise du logement.

Faudrait-il de nouveau expliquer à quel point il est bête de faire porter la faute de la crise du logement aux nouveaux arrivants alors que le problème se trame et s’aggrave depuis des décennies ? Le raccourci a déjà été dénoncé dans plusieurs médias.

Résumons l’affaire, si le besoin existe encore : nos dirigeants ont une responsabilité dans la planification urbaine. Que la population augmente par le taux de natalité ou par l’immigration, c’est le rôle des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux de s’assurer de préparer la société en conséquence. Lorsque la population augmente par l’immigration, c’est avec l’approbation même de ces gouvernements, le plus souvent dans l’optique de répondre à des besoins économiques bien précis.

Lorsqu’il est question de la pénurie de logements, il n’est pas plus intelligent de l’imputer aux travailleurs qui obtiennent des permis (de Québec ou d’Ottawa) à la demande d’employeurs aux prises avec une pénurie de main-d’oeuvre qu’il serait judicieux de l’imputer à de jeunes familles produisant « trop de bébés ». Lors du baby-boom des années 1950, les gouvernements, tant au Canada qu’aux États-Unis, se sont attelés à la construction de quartiers, voire pratiquement de villes entières. Maintenant que la population de l’Amérique du Nord augmente principalement par l’immigration, l’État fait comme si loger les familles relevait à peine de son champ de compétence.

Au début des années 1990, le gouvernement de Brian Mulroney importe ici les « meilleures pratiques » inspirées de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, et repense le rôle de l’État. En 1992, il abolit le programme fédéral de logements sociaux, ayant bon espoir que la « main magique » du marché privé allait fournir naturellement moult logements dits « abordables ». Cela fait plus de 30 ans, donc, qu’Ottawa n’assume plus la même responsabilité que jadis dans la construction de logements dits hors marché. Et les provinces n’ont jamais assumé leur part à la hauteur des besoins de la population.

Nous sommes encore dans ce paradigme du logement « abordable » mal défini que les promoteurs privés sont encouragés à fournir. Le problème avec cette idée floue de logement « abordable », c’est que le prix peut augmenter selon la spéculation propre au marché privé et ne plus être abordable du tout pour toute une génération. Alléger la bureaucratie qui pèse sur les promoteurs privés apparaît comme la solution magique : c’est là le principal discours de Pierre Poilievre. Si la réglementation municipale et, surtout, les délais de traitement des permis peuvent effectivement nuire à la densification urbaine dans certains cas, une grande partie du problème reste ailleurs.

L’idée que la main magique du marché nous sortira de la crise est si ancrée chez nos dirigeants que même Projet Montréal, un parti progressiste, est tombé dans le piège avec son règlement « 20-20-20 ». L’obligation d’inclure des logements sociaux « abordables » ou « familiaux » dans les projets de construction, depuis 2021, n’est tout simplement pas profitable, jugent les promoteurs. Ils ont donc presque tous préféré payer les amendes plutôt que de faire d’eux-mêmes des « citoyens corporatifs » responsables.

Parce que même avec les amendes, il y a encore plus d’argent à faire avec les propriétés plus luxueuses, sans mixité sociale. Depuis que le constat d’échec s’est imposé, on tente à Montréal de corriger le tir, en augmentant le montant des pénalités, notamment. Mais a-t-on, comme société, bien assimilé la notion plus large selon laquelle le secteur privé est motivé par le profit et non par le droit de la personne qui veut que tous aient un toit sur la tête ? Dans une société juste, le logement public doit aussi exister — et pas seulement vivoter.

Le coup de barre, voire le rattrapage historique, dont le pays a besoin en matière d’investissement dans le parc immobilier hors marché, à tous les ordres de gouvernement, se fait encore attendre. Il y a eu certes différentes annonces politiques intéressantes dans les derniers mois — particulièrement dans le budget fédéral. Mais rien qui ressemble à une sortie de paradigme.

Il peut être foncièrement épuisant, pour les défenseurs des droits au logement, d’avoir à se répéter encore et encore. Chaque année, autour du 1er juillet, on montre l’ampleur de l’angoisse des familles qui se retrouvent sans toit. On nous dit comment la recherche d’un appartement amène des gens ordinaires en crise de santé mentale et augmente leur risque de dépendance. À ce stade-ci, il faut parler de la crise du logement comme d’une crise de santé publique.

Mais on s’époumone en partie dans le vide parce qu’une partie des acteurs concernés a intérêt à ne pas comprendre. D’un côté, il y a les acteurs privés dont les profits se portent très bien. De l’autre, il y a une classe sociale ou, disons mieux, une classe électorale de gens qui sont déjà propriétaires et dont les plans de retraite sont justement assurés par la hausse fulgurante des prix de l’immobilier. On ne pourra jamais convaincre ces segments de la population d’aller à l’encontre de leurs intérêts personnels, peu importe la qualité de l’argumentaire. Ce qu’on peut faire, toutefois, c’est modifier les rapports de force.

La coalition SEIZE, qui rassemble différents acteurs communautaires de défense des droits, a lancé mercredi un rapport intéressant sur l’état des mobilisations contre la crise du logement au Canada. On y parle de s’inspirer de la Suède, où il existe un syndicat national pour les locataires, qui dispose de moyens de négociation collectifs s’apparentant à ceux qui existent dans le monde du travail. Dans le contexte canadien ou québécois, ça changerait complètement la donne.

Je vois mal comment on pourra venir à bout de la crise du logement, à moins de trouver des manières originales d’injecter une bonne dose de muscle dans le bras de fer entre les plus vulnérables et les tenants du statu quo. Démontrer le problème ne suffira jamais : trop d’acteurs en tirent profit.

Anthropologue, Emilie Nicolas est chroniqueuse au Devoir et à Libération. Elle anime le balado Détours pour Canadaland.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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