Certaines souris ont un coeur infidèle

Un couple de souris des sables se blottit contre ses petits, les minuscules figures roses étant à peine visibles à la base du nid.
Photo: Andrés Bendesky Un couple de souris des sables se blottit contre ses petits, les minuscules figures roses étant à peine visibles à la base du nid.

La souris sylvestre, que l’on considère comme le mammifère le plus commun d’Amérique du Nord, a une vision des valeurs familiales très différente de celle de son frère évolutif, la souris des sables.

Les souris des sables sont monogames. Les pères toilettent leurs petits, les gardent au chaud et veillent à ce qu’ils ne s’éloignent pas du nid. La souris sylvestre préfère la variété en matière de partenaires sexuels. Il n’est pas rare que les petits d’une même portée soient issus de quatre pères différents. Quant aux souris sylvestres mâles, ils sont carrément négligents. Rien, semble-t-il, ne peut faire ressortir un comportement chaleureux chez les pères.

Jusqu’à présent. Car des chercheurs de l’Université de Columbia qui ont étudié les deux espèces de souris ont découvert ce qui semble être une différence cruciale : les souris des sables produisent une cellule surrénale que l’on ne retrouve pas chez les autres souris. Cette cellule produit une hormone qui, lorsqu’elle est injectée à des souris sylvestres vierges des deux sexes, incite 17 % d’entre elles — même les mâles — à toiletter leurs petits et à les garder près du nid.

Toutefois, cela n’a eu aucun effet sur la tendance qu’ont les souris sylvestres à enchaîner les conquêtes féminines. Cela ne leur a pas donné envie de passer plus de temps avec leur partenaire, a observé Andrés Bendesky, l’un des auteurs d’un article publié mercredi dernier dans la revue Nature décrivant la recherche.

En examinant d’autres espèces de souris, Bendesky et son équipe ont déterminé que la cellule surrénale nouvellement découverte s’était développée chez les souris des sables il y a environ 20 000 ans, soit l’équivalent d’un « clin d’oeil » sur l’échelle du temps de l’évolution.

Bien que l’éducation des enfants et la monogamie soient des caractéristiques distinctes, elles sont liées sur le plan biologique, a déclaré M. Bendesky, chercheur principal à l’Institut Zuckerman de Columbia.

La grande majorité des mammifères — 92 %, selon Bendesky — ont la même promiscuité sexuelle que la souris sylvestre. Lorsque les souris sylvestres femelles sont en chaleur, elles s’accouplent parfois avec plusieurs mâles la même nuit, ce qui permet à différents pères de féconder différents ovules.

Chez la plupart de ces espèces, les mâles ne participent pas à l’éducation des jeunes. Selon M. Bendesky, il n’existe que trois espèces chez lesquelles les mâles participent à l’éducation des enfants : la mangouste rayée, le hapalémur gris et le tamarin de Goeldi.

« Tous trois sont issus d’un ancêtre récemment monogame », a expliqué M. Bendesky, « ce qui soutient le lien étroit et durable » entre la monogamie et le partage des responsabilités parentales.

La question de la monogamie dans le règne animal reste controversée, certains scientifiques affirmant que seuls de 3 à 5 % des mammifères sont monogames.

Les chercheurs distinguent deux types de monogamie : la monogamie sociale, dans laquelle les partenaires s’accouplent et vivent ensemble pendant une ou plusieurs saisons de reproduction, et la monogamie génétique, dans laquelle les couples s’accouplent exclusivement l’un avec l’autre.

Il existe différentes théories sur l’avantage évolutif que la monogamie confère aux mâles. Certains scientifiques soutiennent que le fait de rester à la maison avec une compagne, plutôt que de rôder à la recherche d’autres femelles, pourrait avoir été un moyen d’empêcher les mâles concurrents de dévorer leurs petits. Une autre explication est que les mâles trouvaient tout simplement plus facile d’éloigner les mâles rivaux d’une seule femelle, plutôt que de plusieurs.

M. Bendesky, qui étudie depuis 12 ans la différence entre les souris des sables et les souris sylvestres, a trouvé un indice inattendu dans l’anatomie des deux espèces. Chacune des deux glandes surrénales de la souris des sables pèse 7 milligrammes, soit plus de quatre fois le poids de celles de la souris sylvestre.

« C’est énorme », a déclaré Bendesky à propos de cette différence. Lorsque les scientifiques ont élevé des souris pour qu’elles manifestent plus ou moins d’anxiété — un sentiment dérivé des hormones fabriquées dans la glande surrénale —, ils n’ont jamais constaté une différence de taille de la glande supérieure à 20 %.

C’est extraordinaire. L’élément le plus intéressant est l’origine de ce qui semble un nouveau type de cellule.

Les glandes surrénales sont l’une des principales sources d’hormones stéroïdes, qui jouent un rôle important dans la régulation du comportement, y compris les soins parentaux. La grande différence de taille des glandes surrénales porte à croire que les souris des sables produisent un plus haut taux d’hormones stéroïdes, du moins certaines d’entre elles.

En examinant de plus près les différences entre les espèces, les scientifiques ont découvert que chaque glande surrénale de la souris des sables comporte quatre couches, ou zones, au lieu de trois chez la souris sylvestre. C’est la quatrième, appelée zona inaudita, qui contient la nouvelle cellule surrénalienne.

En effectuant une analyse génétique, les scientifiques ont établi que la cellule nouvellement découverte était différente des autres cellules surrénales. Ils ont constaté que 194 gènes étaient plus actifs dans les cellules nouvellement découvertes que dans les autres cellules. Le niveau d’activité des gènes peut être augmenté ou réduit, tout comme une ampoule peut être réglée à l’aide d’un variateur.

Dans les cellules nouvellement découvertes, les souris des sables produisent une hormone appelée 20a-hydroxyprogestérone, qui a été découverte chez l’homme en 1958.

« Mais personne ne savait ce que cette hormone faisait réellement chez l’homme », a souligné M. Bendesky.

En ce sens, l’hormone ressemble beaucoup à l’organe qui la produit. La glande surrénale, décrite pour la première fois en 1564, était une telle énigme pour les scientifiques qu’en 1716, l’Académie des sciences de Bordeaux a organisé un concours de rédaction pour déterminer l’utilité de cet organe. Aucune proposition n’a été jugée digne du prix.

Ce n’est que bien plus tard que la découverte de maladies telles que l’insuffisance surrénale a permis de clarifier son rôle dans la production d’hormones impliquées dans la régulation du métabolisme, de l’immunité, de la tension artérielle et de la réponse au stress.

La recherche de Bendesky et de ses collègues révélant le nouveau type de cellule a surpris d’autres scientifiques.

« C’est extraordinaire », a réagi Steven M. Phelps, professeur de biologie intégrative à l’Université du Texas à Austin, qui n’a pas participé à l’étude, mais qui suit depuis un certain temps les travaux de Bendesky. « L’élément le plus intéressant est l’origine de ce qui semble un nouveau type de cellule. »

Phelps a relevé qu’en 30 ans de carrière, il ne se souvenait pas qu’une telle découverte se soit produite.

« Ce qui m’a vraiment enthousiasmée dans cet article, c’est l’idée que cette hormone produite dans la glande surrénale » est ensuite décomposée et utilisée dans le cerveau pour influencer le comportement d’aidant, a déclaré Jessica Tollkuhn, professeure associée au Cold Spring Harbor Laboratory, qui n’a pas été impliquée dans l’étude.

« Il s’agit d’un nouvel aspect de la biologie qui n’avait jamais été décrit auparavant », a déclaré Mme Tollkuhn.

Margaret M. McCarthy, professeure de pharmacologie à la Faculté de médecine de l’Université du Maryland, s’est étonnée que l’évolution ait inculqué un comportement parental d’une manière aussi complexe. Selon elle, réguler le cerveau à l’aide d’une hormone forgée dans la glande surrénale est moins direct que le simple développement d’un nouveau circuit neuronal.

« C’est ce qui s’est passé chez les campagnols, où l’on trouve des campagnols monogames et non monogames », a déclaré Mme McCarthy, en faisant référence à ces petits rongeurs que l’on confond parfois avec des souris. « L’évolution surprend toujours. Il y a un million de façons de résoudre un problème. »

Selon les scientifiques, les résultats obtenus chez les souris pourraient aider à mieux comprendre le comportement parental chez l’homme.

Chez les souris, l’hormone parentale est souvent convertie en un composé qui ressemble beaucoup à l’alloprégnanolone, qui a été approuvée par la Food and Drug Administration en 2019 pour traiter la dépression postpartum. Le médicament est connu sous le nom de brexanolone et vendu sous le nom de marque Zulresso.

Tali Kimchi, professeure associée à l’Institut Weizmann des sciences en Israël, a noté par courriel que l’article ouvre la voie à des recherches plus approfondies sur la dépression postpartum, « l’une des psychopathologies les plus dévastatrices et incurables que nous connaissions, avec des effets durables et parfois même mortels, à la fois sur les parents et la progéniture ».

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