Une centaine de personnes font le grand saut au Vieux-Port pour revendiquer l’accès à l’eau

Une centaine de personnes ont sauté dans le fleuve, jeudi midi, au Vieux-Port de Montréal.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Une centaine de personnes ont sauté dans le fleuve, jeudi midi, au Vieux-Port de Montréal.

La Fondation Rivières et ses baigneurs rappellent encore cette année, à l’occasion du traditionnel Grand Splash, que les eaux du fleuve Saint-Laurent représentent à leurs yeux un trésor collectif qui revêt une valeur inestimable pour la population. Une centaine de personnes ont sauté dans le fleuve, jeudi midi, au Vieux-Port de Montréal, pour cette rencontre annuelle visant à sensibiliser les Montréalais et les décideurs politiques à la question de l’accès public à l’eau naturelle.

« On vise vraiment à ouvrir le dialogue avec le Vieux-Port de Montréal. On a toujours été très revendicateurs et frontaux dans notre approche, mais cette année, on change de posture », a lancé André Bélanger, directeur général de la Fondation Rivières, juste avant de sauter dans l’eau au quai Jacques-Cartier.

L’objectif de la Fondation : redonner à la population montréalaise l’accès au fleuve, ce fleuve que l’on regarde à distance sans pouvoir même s’y tremper les orteils, quand la vue n’est pas entravée par des conteneurs issus de l’activité portuaire. Rassemblés et affirmant en riant « faire leur devoir de citoyen en sautant à l’eau », les baigneurs comprenaient des familles et des groupes d’amis de tous âges.

Vicki Grondin, conseillère municipale pour l’arrondissement de Lachine, a également fait le grand saut pour une quatrième fois, réitérant les ambitions de la Ville de Montréal de permettre rapidement aux gens de se baigner, rappelant au passage que Montréal est une île entourée d’eau.

Eau de qualité, à quand la baignade ?

Selon la Fondation Rivières, la qualité de l’eau est d’ailleurs au rendez-vous pour la baignade. L’organisme effectue chaque année de nombreuses analyses de qualité de l’eau. À la lumière des résultats, l’organisme juge que 57 lieux, disséminés autour de l’île de Montréal, seraient tout à fait propices à la baignade. C’est le cas du parc Aimé-Léonard, où il y a peu de courant et où la qualité de l’eau est très bonne. En 2023, la Ville de Montréal publiait également un rapport du Réseau de suivi du milieu aquatique (RSMA) dans lequel 68 sites étaient jugés adéquats.

Après l’échec de la plage de Pointe-aux-Trembles et l’abandon du projet du quai de l’Horloge, l’administration de la mairesse Valérie Plante rencontre à présent de nombreuses embûches dans l’élaboration d’un quai de baignade au parc de la Promenade-Bellerive. « La Ville va devoir faire preuve de plus d’agilité. Le nouvel accès à l’eau, à Beloeil, est un bel exemple à suivre en termes de rapidité des démarches », remarque André Bélanger.

La vision d’un Montréalais nageant librement dans le fleuve appartient-elle au domaine de la fiction ? Les plages de Verdun et de Jean-Doré nous ont prouvé le contraire dans les dernières années, mais il s’agira peut-être encore longtemps de l’exception à la règle, si l’on se fie aux récentes difficultés.

Suzie Miron, ex-conseillère dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve et instigatrice du projet de baignade au parc de la Promenade-Bellerive en 2019, se désole des lenteurs administratives entourant la création de zones de baignades sécurisées dans ce quartier. « C’est vraiment dommage pour la population de l’île de Montréal. Sincèrement, j’espère que ça va pouvoir se faire un jour. Ce n’est pas tout le monde qui a la chance et le privilège d’avoir un chalet et de pouvoir sortir de la ville. La Promenade-Bellerive est facile d’accès, et la qualité de l’eau y est très bonne malgré l’opinion parfois véhiculée. »

Dans une réponse envoyée par courriel, l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve signale que la contamination des sols est la seule chose qui ralentit actuellement le projet. « [U] ne étude de caractérisation des sols et sédiments a été réalisé, incluant une collecte d’échantillons pour déterminer s’il y avait présences ou non de contaminants. Le résultat de cette analyse a été transmis à la Direction régionale de santé publique [DRSP] afin d’établir quelles étaient les mesures à mettre en place, le cas échéant, afin de mitiger les risques pour la santé des baigneurs en cas de présence de contaminants dans le sol ou dans les sédiments. »

André Bélanger se demande pourquoi la DRSP a été impliquée dans le processus six ans après le début des démarches, et pas dès le début.

Accès à l’eau

En contexte de changements climatiques, la nécessité d’accéder à des plans d’eau pour se rafraichir l’été se fait de plus en plus sentir, tout comme la volonté de rebâtir un lien à la nature. Ce lien s’est progressivement étiolé au fil de l’industrialisation et de l’histoire du développement montréalais, qui a fait du fleuve la colonne vertébrale de son économie au détriment de sa valeur écologique et sociale.

Bien que les programmes d’assainissement du fleuve aient, au fil des ans, permis à l’eau du Saint-Laurent de retrouver sa qualité, la population a beaucoup intériorisé l’idée que le fleuve est sale, impropre à la baignade et seulement propice au commerce, selon Manuel J. Rodriguez, professeur à l’Université Laval spécialisé en gestion de la qualité de l’eau potable.

Il indique que dans les années 1970, le rapport des Québécois aux eaux naturelles s’est érodé principalement parce que des eaux usées et des produits chimiques liés à l’agriculture se déversaient continuellement et sans traitement dans le fleuve.

Les gens se sont donc progressivement tournés vers les piscines privées. « Maintenant, les Québécois sont moins exigeants envers les autorités au sujet de l’accès aux eaux naturelles, car beaucoup préfèrent leur piscine. C’est plus simple, plus facile, ils peuvent rester chez eux », explique M. Rodriguez. « Pourtant, les piscines consomment beaucoup d’eau, et les nombreux produits chimiques qu’elles requièrent ont des impacts sur la santé et l’environnement », ajoute-t-il.

Loin des yeux, loin du coeur

Le jeune cinéaste David Sanchez, qui a récemment réalisé le court-métrage sur le Saint-Laurent intitulé Des rives, croit quant à lui que les statistiques sur la qualité de l’eau ne parviendront jamais à motiver la population à exiger l’accès au fleuve. « Il faut que les gens développent une sorte d’affection, de sensibilité envers le fleuve. L’art permet de s’imaginer d’autres possibles, d’autres mondes. C’est plus fort que n’importe quelle statistique. On a de la misère, en tant qu’humain, à peser ce que veulent dire les chiffres. »

Anaïs Houde, porte-parole du regroupement Mobilisation 6600, s’insurge quant à elle de la privatisation des rives du fleuve, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. « Dans notre quartier, le port occupe l’entièreté des vingt-sept kilomètres de berges. On n’a donc pas du tout accès au fleuve – même, c’est pire que de ne pas avoir accès : c’est carrément interdit. Pour la population, c’est des pertes phénoménales, d’autant plus qu’on a déjà eu cet accès-là. Les personnes âgées du quartier racontent souvent comment elles se rassemblaient sur le pont au bout de la rue Davidson pour pêcher, discuter. Le rapport au fleuve était toujours là, et maintenant, ça a disparu. »

La renaissance de la rivière Saint-Charles

La rivière Saint-Charles, à Québec, a été, des années 1970 à 1990, tout à fait impropre à la baignade ou aux activités nautiques. Ses rives, dévégétalisées, étaient canalisées par des murs de béton. Puisque les rives ont été revégétalisées dans les dernières années, l’écosystème riverain reprend progressivement son souffle – mais pas assez vite pour permettre, à ce jour, la baignade.

« Les sources de pollution de la rivière ne sont pas toutes identifiées précisément », poursuit le porte-parole de la Ville de Québec, Jean-Pascal Lavoie, bien qu’il cible les égouts à raccordements inversés. Ces égouts, vestiges du passé, impliquent des égouts domestiques se déversant directement dans les égouts pluviaux. Résultats : lors de fortes pluies, tout coule d’un même élan dans la rivière.

« C’est très difficile pour les villes de les trouver, ces raccordements. Chaque année, on en détecte de nouveaux, et on les modifie », signale M. Lavoie. « Ce n’est pas de la science-fiction de penser qu’on va pouvoir se baigner bientôt dans la rivière Saint-Charles », précise le porte-parole, qui encourage la population à participer aux activités de canot et de kayak organisées ponctuellement par la Société de la rivière Saint-Charles. Ces activités visent à sensibiliser la population à la beauté de la nature urbaine, et de rendre ce lieu naturel accessible aux citadins.

Le Bassin Louise et la piscine des Promenades Champlain, zones de baignade urbaine en eaux naturelles, ont également fait la fierté de la Ville de Québec dans les dernières années.

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