Céline Galipeau entrevoit la fin des téléjournaux

La journaliste et cheffe d’antenne de Radio-Canada, Céline Galipeau, l’une des invitées de l’édition 2024 du Festival international du journalisme de Carleton-sur-Mer
Photo: Benoit Daoust La journaliste et cheffe d’antenne de Radio-Canada, Céline Galipeau, l’une des invitées de l’édition 2024 du Festival international du journalisme de Carleton-sur-Mer

Céline Galipeau fête cette année ses 40 ans de carrière à Radio-Canada. Elle reste cette figure incontournable de l’information, comme en fait foi l’accueil plus que chaleureux qu’elle a reçu cette fin de semaine au Festival international du journalisme de Carleton-sur-Mer. Les deux panels auxquels elle a participé furent parmi les plus courus de l’événement. Mais la cheffe d’antenne du Téléjournal de 22 h ne se raconte pas d’histoire. Les bulletins de fin de soirée ne sont plus ce qu’ils étaient. Les cotes d’écoute ont chuté. Les jeunes ont déserté.

« Probablement que le rendez-vous de 22 h, c’est quelque chose qui va finir par disparaître. Je ne sais pas comment les gens vont s’informer dans 5 ou 10 ans. Mais pour le moment, le Téléjournal sert un public, très âgé, j’en conviens, mais encore important. Et quand il se passe de grands événements, c’est vers nous que l’on se tourne. Quand on est allés faire une émission spéciale 100 jours avant les Jeux olympiques, on a quand même fait près de 600 000 de cotes d’écoute. 600 000 personnes, c’est encore beaucoup de monde ! » observe Céline Galipeau, en entrevue au Devoir.

Lorsqu’elle a succédé à Bernard Derome en 2009, le Téléjournal était encore une institution dont personne n’imaginait un jour la disparition, même si elle avait déjà un peu perdu de son lustre avec l’arrivée des chaînes de nouvelles en continu. Le rôle de chef d’antenne était toujours sans conteste le plus prestigieux de la salle des nouvelles de Radio-Canada. Le plus convoité aussi. Beaucoup de journalistes ambitieux jouaient du coude pour y parvenir. Céline Galipeau se pince encore que, parmi tous les gros ego du diffuseur public, c’est à elle que l’on ait pensé pour devenir le visage de l’information. D’autant que cette femme réservée, qui dit douter constamment d’elle-même, n’avait jamais caressé le rêve d’être devant la caméra.

« Il faut aussi de la chance quand même dans ce métier. L’ambition ne fait pas tout. Le travail non plus, même si c’est vrai que je suis très travaillante. Il faut aussi être au bon moment au bon endroit. Il faut des patrons qui croient en toi. Moi, j’ai eu la chance d’avoir des patrons qui voyaient des choses en moi que moi-même je ne voyais pas. Je n’avais pas cette drive que certains peuvent avoir », constate-t-elle avec le recul.

Le temps qui passe

L’heure de la retraite n’a pas encore sonné pour Céline Galipeau. Elle n’a pas non plus ciblé de date de départ. Mais la cheffe d’antenne dit avoir obtenu des garanties de la part de Radio-Canada que le Téléjournal lui survivra, et qu’elle sera remplacée, le moment venu. « Ce n’est plus un poste qui fait rêver beaucoup de monde », reconnaît la première femme cheffe d’antenne du Téléjournal de 22h de Radio-Canada.

L’ex-correspondante de guerre, elle, a toujours le feu sacré pour présenter chaque jour le bulletin de fin de soirée de Radio-Canada. Du lundi au jeudi, ses journées débutent à 8 h avec la lecture des grands quotidiens de partout dans le monde, puis se terminent à 23h, après le bulletin de nouvelles.

Mais à 67 ans, Céline Galipeau prend conscience « qu’il y en a plus derrière que devant maintenant ». Cette réalité lui a sauté aux yeux lors du Festival international du journalisme de Carleton-sur-Mer, où elle était invitée cette fin de semaine pour venir discuter de son parcours avec le public. Avant qu’elle monte sur scène, l’organisation a diffusé un montage de ses reportages marquants des quarante dernières années. En voyant les images, Céline Galipeau a craqué, laissant couler quelques larmes. Une émotion qu’elle ne laisse que très rarement paraître en public, elle qui est d’ordinaire très introvertie.

« Quand j’ai vu ces images, j’ai tout de suite pensé à mon père qui m’avait dit : “tu vas voir, ça va passer vite”. Et aujourd’hui, je réalise qu’il avait raison. Ça a vraiment passé vite », confie celle dont le père, Georges Galipeau, a été journaliste, avant de devenir diplomate.

L’appel du terrain

Depuis ses débuts, Céline Galipeau aura été correspondante pour Radio-Canada à Londres, à Paris, puis à Moscou et enfin à Pékin. Elle a couvert à peu près tous les grands conflits des dernières décennies, du Kosovo à la Tchétchénie, en passant par l’Afghanistan. Puis, elle s’est posée à Montréal au début des années 2000 pour présenter le Téléjournal, d’abord le week-end, puis en semaine à compter de 2009.

Jamais elle n’a complètement délaissé le terrain. Céline Galipeau ressent le besoin viscéral d’y retourner à l’occasion. Elle a d’ailleurs mené des reportages récemment en Ukraine et à Jérusalem.

« Je pense que l’une des grandes menaces qui guettent le journalisme, c’est que le terrain soit délaissé », s’inquiète-t-elle. « Aujourd’hui, et surtout depuis la pandémie, c’est facile de faire des entrevues avec des experts en visioconférence. Mais ça ne doit pas remplacer le terrain. Être sur place, ça amène des nuances. Quand on couvre un conflit de loin, on se fait notre propre idée de ce qu’est la situation sur place. Mais quand on parle aux gens sur le terrain, on se rend compte que tout n’est pas blanc ou noir. La réalité est souvent grise. »

Cet appel du terrain l’a souvent amenée par contre à faire des sacrifices. À plusieurs reprises, quand elle devait partir pour de longues périodes dans des zones de guerre, elle a eu le sentiment de négliger son rôle de mère.

« J’ai été déchirée. J’ai pleuré à peu près toutes les fois où je suis partie en voyage, et je partais souvent. Je me sentais coupable de ne pas être là pour mon fils. Heureusement que j’ai eu un conjoint extraordinaire qui était là quand je partais », confesse Céline Galipeau, habituellement discrète sur sa vie privée.

En l’écoutant parler de sa famille, de ses petits-enfants, on découvre un peu plus la femme derrière la cheffe d’antenne. On comprend alors que l’on connaît finalement si peu celle qui fait pourtant partie de quotidien de centaines de milliers de Québécois chaque soir depuis 15 ans. 

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