Des cégeps anglophones pressent Québec d’exempter les étudiants autochtones de la loi 96
Cinq cégeps anglophones unissent leur voix pour presser le gouvernement du Québec d’exempter complètement les étudiants autochtones des dispositions incluses dans la réforme de la Charte de la langue française. Autrement, plusieurs d’entre eux risquent de quitter la province pour poursuivre leurs études en Ontario, ou encore abandonner celles-ci.
Il y a « urgence d’agir » pour modifier cette législation issue du projet de loi 96, adopté en 2022, avant que l’ensemble de ses dispositions entrent en vigueur l’automne prochain, écrivent les membres de la direction de ces cégeps, dont quatre sont basés dans la grande région de Montréal et le cinquième — le cégep Héritage — à Gatineau, dans une lettre acheminée mardi au premier ministre François Legault.
Dans les dernières années, ces établissements ont vu le nombre de leurs étudiants autochtones augmenter pour atteindre actuellement entre 300 et 400, selon leurs estimations. En imposant la réussite de trois cours supplémentaires en français à ces étudiants, la loi 96 risque cependant d’en inciter plusieurs à quitter la province pour aller étudier en Ontario ou ailleurs au pays — ou encore à abandonner leurs études —, appréhendent ces établissements.
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« Je suis inquiet que des étudiants soient découragés et décident d’abandonner leurs études postsecondaires avec les cours de français ajoutés », appréhende Tiawenti:non Canadian, coordonnatrice du Centre pour les Premières Nations du collège Dawson. « J’ai l’impression que les besoins des étudiants autochtones sont ignorés et que cette loi va avoir beaucoup d’impact sur nos jeunes et sur le développement de nos communautés », poursuit celle qui constate que plusieurs étudiants autochtones ont l’impression qu’ils « n’ont pas leur place ici », en raison de cette loi.
Dans leur lettre, les cégeps anglophones déplorent ainsi que cette réforme de la Charte de la langue française, qui fait l’objet d’un recours judiciaire lancé par des groupes autochtones, impose « de multiples obstacles systémiques et discriminatoires » à l’endroit des étudiants issus des Premières Nations. Le document fait d’ailleurs état de difficultés d’accès pour plusieurs étudiants autochtones aux dérogations dont ils peuvent bénéficier dans le cadre de cette loi, notamment en ce qui concerne la passation de l’épreuve uniforme de français.
« Nous comprenons que cette mesure représente une réponse aux demandes en lien avec le parcours des étudiants et étudiantes autochtones et la loi 14, mais force est de constater qu’un bon nombre ne s’en prévalent pas », peut-on lire.
« La barrière de trop »
Les cégeps anglophones rappellent d’ailleurs que le parcours scolaire des étudiants autochtones — pour qui le français est souvent une troisième langue — est déjà semé d’embûches. Ceux-ci doivent s’exiler loin de leur communauté pour réaliser leurs études, ce qui peut les amener à vivre une importance solitude en plus d’un choc culturel.
Le Collège Dawson fait ainsi état d’un taux de réussite et de rétention plus faible pour les étudiants autochtones au sein de son établissement par rapport à l’ensemble de ses étudiants. Pour plusieurs étudiants autochtones, « le français, c’est la barrière de trop », relève la directrice générale du collège, Diane Gauvin.
« Je suis Autochtone et j’ai vécu cette expérience, moi aussi, de quitter ma communauté pour aller à l’école. Et je sais que si cette loi avait existé quand je suis allée à l’école, ça m’aurait vraiment dissuadé. Et je ne sais pas si je serais allée à l’école », confie d’ailleurs au Devoir la directrice adjointe de l’éducation autochtone au collège John Abbott, Kim Tekakwitha Martin.
La lettre envoyée jeudi au premier ministre du Québec relève d’autre part que « les exigences en matière de cours de français laissent peu ou pas de place à nos cégeps pour offrir des cours de langues autochtones », une situation que déplore Mme Martin. « Les étudiants, au lieu de choisir leur propre langue, ils doivent choisir de prendre des cours de français. »
Pourtant, ces étudiants autochtones « ne représentent aucune menace pour le français », vu leur nombre relativement faible dans le réseau collégial anglophone, estime l’enseignante au Département de français du collège Dawson Francesca Roy. « Pourquoi est-ce qu’on veut imposer une barrière linguistique à ces étudiants-là au risque d’endommager nos relations déjà fragiles avec les Autochtones ? » se demande-t-elle.
Joint par Le Devoir, le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, assure être « très sensible à la question de l’accessibilité aux études supérieures pour les étudiants issus des communautés autochtones ». Par écrit, il rappelle les allègements réglementaires mis en place pour permettre notamment aux étudiants autochtones « de suivre des cours de français en fonction de leur niveau » plutôt que des cours « en français », comme le prévoit la réforme de la Charte de la langue française.
« On souhaite que toutes les conditions soient réunies pour assurer leur réussite et on va continuer de travailler en ce sens », conclut le cabinet.
Une version précédente de ce texte, qui indiquait que la lettre des directions de cinq cégeps anglophones a été acheminée jeudi au premier ministre François Legault, a été corrigée.