Les campus universitaires satellites se multiplient au Québec

Davantage de campus secondaires d’universités ont vu le jour au Québec dans les quatre dernières années qu’au cours des 20 années précédentes, a constaté Le Devoir. Une situation qui témoigne de l’intérêt croissant de ces établissements à réduire la « barrière » de la distance qui persiste dans l’accès à des études supérieures pour nombre de Québécois. Les experts sont toutefois divisés sur la pertinence de la multiplication de ces campus satellites à travers la province.

Lors de la création du réseau d l’Université du Québec, à la fin des années 1960, l’une de ses visées premières était de rendre les études universitaires accessibles au plus grand nombre de Québécois possible. Aujourd’hui, les 17 campus principaux des 18 établissements universitaires de la province — l’Université TÉLUQ étant entièrement en ligne — sont répartis dans huit régions du Québec.

Des milliers d’étudiants des neuf régions de la province sans campus principal doivent donc parcourir de longues distances — généralement en voiture — pour se rendre à leurs cours, ou encore louer un appartement dans des villes comme Montréal, Québec, Trois-Rivières ou Sherbrooke. Des obstacles qui en découragent plusieurs, en témoignent des chiffres publiés l’an dernier par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Dans son Panorama des régions du Québec, l’ISQ, qui se base sur les données du recensement de 2021, constate que 33 % des Québécois de 25 à 64 ans détiennent un certificat, un diplôme ou un grade universitaire. Ce pourcentage atteint 50 % sur l’île de Montréal, mais chute à 21 % dans Lanaudière, l’une des régions du Québec où ce taux est le plus bas — aux côtés de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (18 %), de la Côte-Nord (17 %) et du Nord-du-Québec (13 %).

Les résidents des régions hors des grands centres doivent souvent parcourir de longues distances ou s’exiler pour réaliser des études universitaires. Ce sont d’ailleurs 45 % des diplômés au baccalauréat dans Lanaudière en 2017 qui avaient obtenu leur diplôme à l’Université de Montréal ou à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Or, « as-tu le goût de te taper deux heures de route par jour pour aller étudier à Montréal après la pandémie, qui t’a habitué à rester chez vous ? Non », lance l’ancienne présidente de la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial Céline Durand, en référence aux étudiants de Lanaudière.

« Égalisation des chances »

Afin d’offrir l’accès à une éducation universitaire dans des régions éloignées de la ville où elles ont initialement vu le jour, des universités ont mis en place, au fil des années, des sites de formation destinés à enseigner quelques programmes, souvent dans des locaux loués à des cégeps. Le nombre de ces petits points de service a toutefois connu une baisse marquée entre 2008 et 2021, passant de 234 en 2010 à 132 à l’automne 2021, montrent des données du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI).

En contrepartie, une dizaine de campus secondaires, qui offrent une plus grande variété de programmes, ont vu le jour ou ont été annoncés depuis 2020 dans plusieurs régions du Québec, a constaté Le Devoir en contactant l’ensemble des universités de la province. Il s’agit d’un nombre important, considérant qu’à peine six campus secondaires avaient vu le jour entre 2008 et 2021 (à voir sur notre outil interactif), comme en témoignent des données du BCI.

« Il y a eu un accroissement des campus avec un lieu physique », relève le professeur Pierre Doray, du Département de sociologie de l’UQAM. Ce dernier constate que les universités ne se contentent désormais plus de louer des locaux à des cégeps pour desservir diverses régions. Elles ouvrent plutôt des campus à part entière dans des bâtiments distincts, loués ou construits à cette fin, où l’on offre généralement une plus grande variété de programmes.

« Ça a favorisé une égalisation des chances », résume ce spécialiste de l’accès à l’enseignement postsecondaire.

Luc Bernier, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public à l’Université d’Ottawa, rappelle cependant que plusieurs de ces campus secondaires n’offrent pas tous les services que l’on trouve généralement dans une université, tels qu’une bibliothèque, un centre sportif ou un laboratoire. « Il y a un appauvrissement de la qualité de l’enseignement, selon moi, dans ces campus satellites à l’autre bout du monde, lance le professeur. Je ne suis pas convaincu que c’est ça la solution du taux de diplomation en région », poursuit M. Bernier, qui se demande si « c’est pour le bien de l’université ou pour le bien des étudiants qu’on fait ça ».

Des besoins criants

À Lanaudière, l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) offrait depuis des décennies des cours dans des cégeps de la région. Depuis 2021, elle a toutefois ouvert trois campus — à Terrebonne, Joliette et L’Assomption — afin d’y faire converger tous ses étudiants dans la région et de disposer de suffisamment de locaux pour en accueillir des centaines d’autres ces prochaines années et répondre à la demande croissante.

« Même si le campus est petit, ça leur permet d’avoir une identité universitaire qui [leur] est propre », relève le recteur de l’UQTR, Christian Blanchette, en référence aux étudiants de la région qui n’auront plus à suivre leurs cours à l’université dans un cégep, mais plutôt dans un véritable campus. « Je pense que ça, c’est important » afin de rendre les études universitaires attrayantes pour les jeunes de la région, pour qui la distance des universités montréalaises peut représenter une « barrière » difficile à franchir, illustre M. Blanchette.

Pour sa part, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) procède actuellement à la construction d’un campus à Mont-Laurier, où elle offre des cours depuis une vingtaine d’années. Or, la simple location de locaux n’est plus suffisante pour répondre aux besoins croissants des étudiants de cette ville des Hautes-Laurentides, explique le recteur de l’UQAT, Vincent Rousson.

« Le milieu nous a adoptés, donc on s’est implanté progressivement. Et aujourd’hui, on est rendu à un moment, dans notre histoire dans les Hautes-Laurentides, où on avait besoin d’infrastructures, d’où la création d’un campus », souligne-t-il en entrevue, tout en précisant que ce projet sera en partie financé par le gouvernement du Québec. Malgré la création de ce campus, l’UQAT continuera d’ailleurs à louer des locaux au centre-ville de Mont-Laurier ainsi que dans le campus du cégep de Saint-Jérôme, situé dans cette ville, « parce que notre effectif étudiant ne cesse de croître ».

« D’ailleurs, la construction [du campus] n’est même pas terminée qu’on prépare déjà une phase deux d’agrandissement à Mont-Laurier », confie M. Rousson.

Ce sont par ailleurs six pavillons et campus spécialisés dans le milieu de la santé qui ont pris forme dans cinq régions du Québec depuis 2020, montre l’analyse du Devoir. L’École de technologie supérieure, basée à Montréal, étalera pour sa part ses activités à Longueuil dès l’an prochain, pour y offrir un programme de baccalauréat en aérospatiale, tandis que l’Université Concordia a ouvert l’an dernier un campus spécialisé dans la transition énergétique à Shawinigan, à 170 kilomètres de son bâtiment principal.

L’INRS s’installe à Baie-Saint-Paul

Pendant que des campus secondaires s’installent en région, l’Institut national de recherche scientifique (INRS) travaille, pour sa part, depuis 2022, à Baie-Saint-Paul sur un projet de centre de recherche sur les ruralités durables. À terme, entre 50 et 100 étudiants seront accueillis sur ce site où l’INRS ne s’est jamais établi auparavant.

« Si on s’installe à Baie-Saint-Paul, c’est qu’on ne peut pas créer un centre de recherche sur la ruralité à Québec ou au centre-ville de Montréal », où l’INRS compte déjà des campus, explique son directeur général, Luc-Alain Giraldeau. « La ville de Baie-Saint-Paul nous apparaissait comme un lieu excellent pour installer un centre de recherche et pour fournir des infrastructures, une population et des milieux ruraux pour former des étudiants et des chercheurs qui seraient spécialisés dans ce domaine-là. »

Cette initiative s’ajoute à la création, en 2021, de cinq unités mixtes de recherche dans plusieurs régions du Québec, où l’institut embauche des professeurs pour enseigner dans les locaux d’universités partenaires.

« On a une dizaine d’installations principales partout sur le territoire québécois et, à terme, on devrait en avoir encore plus », entrevoit M. Giraldeau, selon qui cet étalement de la présence de l’INRS au Québec entre dans sa mission d’« étendre le savoir partout au Québec ».

Zacharie Goudreault

À voir en vidéo