«Brats», le documentaire: Andrew McCarthy, ou la revanche des idoles
Au début des années 1980, les films mettant en vedette des adolescents et de très jeunes adultes se multiplièrent. S’y reconnaissant, ce public jusque-là négligé par Hollywood envahit les salles. De ce genre inédit de « films pour ados », tels Breakfast Club, Ferris Bueller’s Day Off (La folle journée de Ferris Bueller), ou Pretty in Pink (Rose bonbon), émergèrent de nouvelles stars. Une partie d’entre elles, dont Andrew McCarthy, Demi Moore, Ally Sheedy, Emilio Estevez, Molly Ringwald, et Rob Lowe, fut surnommée le Brat Pack : un clin d’oeil au Rat Pack de Frank Sinatra et Cie. Sauf que « brat » signifie « enfant gâté ». Ayant très mal vécu avec cette étiquette réductrice, Andrew McCarthy en a fait le sujet d’un documentaire : Brats. Nous lui avons parlé en exclusivité.
« Au début, j’avais peu d’attentes par rapport au projet », avoue Andrew McCarthy, joint par visioconférence à la veille du dévoilement de Brats au Festival du film de Tribeca.
Révélé en 1983 dans le film Class (Un collège de classe), en étudiant boursier qui s’éprend de la mère (Jacqueline Bisset) de son riche meilleur ami (Rob Lowe), Andrew McCarthy tint entre autres la vedette de Pretty in Pink, Heaven Help Us (Au nom du ciel), St. Elmo’s Fire (Le feu de St. Elmo), Mannequin, Less Than Zero (Neige sur Beverly Hills), et Weekend at Bernie’s (Week-end chez Bernie). Autant de films, dont plusieurs devenus cultes, destinés d’abord audit public adolescent.
« Ce qui est dans le documentaire, c’est ce qui s’est produit lors du tournage. Quand vous me voyez appeler quelqu’un, je l’appelle réellement : je n’ai fait aucune reconstitution. Je pensais effectuer une seule journée de tournage, où je contacterais tout le monde pour la première fois en, quoi, trente ans ? »
Car, contrairement à la croyance populaire, les membres tant officiel qu’officieux du Brat Pack n’étaient pas des amis proches dans la vie : en dehors des mondanités médiatisées, chacun vivait sa célébrité de son côté, certains mieux que d’autres. Pas Andrew McCarthy. Dans son autobiographie Brat: An ’80s Story, publiée en 2021, l’acteur devenu reporter globe-trotteur, puis réalisateur (entre autres des séries Orange Is the New Black et The Blacklist/La liste noire), parle de son alcoolisme dès l’âge de 12 ans, et de sa sobriété recouvrée depuis 1992.
D’ailleurs, lors d’un passage révélateur de Brats en compagnie d’Emilio Estevez, Andrew McCarthy évoque ses problèmes avec son père, expliquant comment le fait d’avoir fait la paix avec ce dernier sur son lit de mort l’a aidé, et comment, à moindre échelle, il espère faire de même par rapport au Brat Pack.
D’ailleurs, lorsque McCarthy renoue avec Estevez, les deux hommes ne se sont pas revus depuis la sortie de St. Elmo’s Fire, en 1985, donc il y a presque quarante ans.
Franchise et ouverture
En amont, Brats offre un récapitulatif de la période revisitée, soit la première moitié des années 1980, avec force extraits de films et de reportages, photos, etc. Ce retour succinct sur l’hégémonie momentanée du film pour ados et ses figures de proue permet de mesurer l’ampleur du phénomène. Car c’était de cela qu’il s’agissait.
Puis, en 1985, dans un article de New York Magazine, le journaliste David Blum (qui a accepté de rencontrer Andrew McCarthy) créa l’expression « Brat Pack » pour décrire une cohorte de jeunes actrices et acteurs « sur le party » et pas très sérieux par rapport au métier.
« L’étiquette Brat Pack a été un événement sismique dans ma vie », se souvient Andrew McCarthy.
« Pour le documentaire, je voulais surtout me pencher sur la manière dont notre relation au passé et notre perception du passé évoluent au fil du temps. La vérité d’aujourd’hui n’est pas la vérité de demain. Il y a une citation d’Eugene O’Neill que j’adore : “Le passé est le présent. C’est aussi l’avenir.” Ça me fascine, plus je vieillis. L’an dernier, j’ai eu 60 ans, et je regarde le passé d’une manière différente de celle de quand j’avais 40 ans. »
La nature « sismique » du choc décrit par Andrew McCarthy est partagée : dans Brats, les principaux intéressés décrivent le vertige et la frustration ressentis à la lecture de ce qui était, au mieux, une simplification de la réalité, au pire, une fausseté. Entrecoupant les témoignages du présent, des entrevues passées montrent de jeunes interprètes très éloquents dans leur rejet de l’étiquette Brat Pack. En vain.
« J’étais curieux d’entendre les autres à propos de ce club, ce club dont nous n’avions pas demandé à être membres… Leur expérience a-t-elle été la même que la mienne ? J’ai été transparent avec tout le monde. Je disais : “Je veux juste venir chez toi, et te parler de ce que ça t’a fait.” Si, demain, je croisais quelqu’un avec qui j’ai tourné un film il y a trente ans, je n’aurais peut-être rien à lui dire. Mais comme je le dis à Emilio dans le documentaire, étant donné que lui et moi étions membres de cette chose, de cette chose qui nous est arrivée et qui a affecté nos vies et a en partie défini notre parcours, nous avons un point de connexion. Pendant le tournage, ç’a été très facile, avec tout le monde. Cette ouverture m’a surpris : il y a dix ans, personne n’aurait dit oui. Moi-même, je n’aurais pas fait ce film il y a dix ans. En vieillissant, le rapport au passé change. »
Transcender la nostalgie
Parmi les meilleures séquences, il y a celle des retrouvailles avec Demi Moore, l’actrice ayant connu les sommets et le rejet à Hollywood, avant d’effectuer un retour spectaculaire à Cannes ce printemps dans The Substance, de Coralie Fargeat. Passionnante et souvent drôle, la conversation voit Moore « psychanalyser » McCarthy avec une tendresse évidente, malgré les décennies qui se sont écoulées.
« C’était assez incroyable, la générosité ambiante… Tout le monde a été très franc avec moi ; tout le monde a tout de suite baissé sa garde. Nous avons par conséquent pu avoir un échange honnête sur ce que nous ressentons. Je n’étais pas désireux de faire le documentaire définitif sur le Brat Pack, vous savez. J’avais juste envie de demander aux autres : “Quelle a été ton expérience ? Voici la mienne.” »
Andrew McCarthy précise par la même occasion avoir d’emblée été déterminé à ce que son documentaire ne se change pas en « grattage de bobo » pour initiés, au contraire.
« Mon souhait, c’était que, devant le film, les spectatrices et les spectateurs puissent hocher la tête, et se dire : “Oui, c’est ce que moi je ressens par rapport à tel événement dans ma vie : j’ai détesté ça à l’époque, mais maintenant, j’en suis venu à l’accepter.” J’espérais que ce film transcenderait la simple nostalgie, et qu’en abordant quelque chose de très personnel, je parviendrais à faire résonner ça à un niveau plus universel. »
Une éternelle affection
Cette introspection « communicative » se produit en l’occurrence tout naturellement devant Brats, identification aidant.
À cet égard, il était particulièrement facile de s’identifier aux personnages d’Andrew McCarthy, car dans tous ses rôles (aucun de brute ou de macho, fait à signaler), il dégageait un mélange unique d’authenticité et de gentillesse, avec au fond des yeux, cette note de tristesse…
Ses personnages avaient toujours, même lorsqu’il jouait un élève populaire comme dans Pretty in Pink, une dimension marginale.
Ils sont par conséquent innombrables, les garçons de ma génération, à s’être identifiés à lui à répétition, étiquette Brat Pack ou non. Et comme nous nous débattons tous avec nos propres démons, voir Andrew McCarthy affronter l’un des siens dans Brats est inspirant.
Ainsi, après nous être autrefois identifiés à ses personnages, voici que nous nous identifions à la personne.
« Vous me faites pleurer… » murmure l’acteur-réalisateur, qui marque une pause avant de poursuivre : « Je vous dirais qu’avec ce documentaire, je me sentais une responsabilité. Parce qu’aujourd’hui, je sais que ces films ont été importants pour beaucoup de monde en grandissant. J’étais conscient que cet événement qui a secoué mon existence, je devais aussi… l’honorer, avec la vérité des autres, et avec ma propre vérité. J’ai longtemps détesté l’étiquette Brat Pack, mais maintenant, je trouve que c’est une belle chose. »
À ce stade de l’entretien, le regard d’Andrew McCarthy se brouille.
« Vous savez, j’ai été surpris par l’affection que nous avons, entre membres du Brat Pack. Ça m’a totalement pris au dépourvu, parce qu’à l’époque, nous n’étions pas proches : nous étions jeunes, effrayés et compétitifs, et essayions de comprendre ce qui nous arrivait. De ressentir ce genre d’affection, comme quand Rob [Lowe] et moi nous étreignons… Rob a été la première personne avec qui j’ai auditionné. Toutes ces décennies plus tard, quand je suis arrivé chez lui, je le regardais, et il me regardait, et soudain, nous avions à nouveau 19 ans, et nous revivions ce moment glorieux… C’était incroyablement émouvant. Le passé qui devient le présent… »
Le documentaire Brats sortira
sur Disney+ le 28 juin.