La Bolivie en zone de turbulences après le coup d’État manqué

Des partisans du président bolivien Luis Arce tiennent des pancartes lors d’une manifestation, sur lesquelles on peut lire «Non au coup d’État, la démocratie se respecte!» et «Zuniga, traître».
Photo: Ernesto Benavides Agence France-Presse Des partisans du président bolivien Luis Arce tiennent des pancartes lors d’une manifestation, sur lesquelles on peut lire «Non au coup d’État, la démocratie se respecte!» et «Zuniga, traître».

Après la tentative avortée d’un groupe de militaires de renverser le président Luis Arce, la Bolivie entre dans une nouvelle période de turbulence politique sur fond de crise économique.

La présidentielle de 2025 en point de mire aiguise les appétits, tandis qu’un malaise règne au sein de l’institution militaire sur fond de grogne populaire face à la montée des prix et aux pénuries dans un pays dont les ressources gazières et de lithium suscitent pourtant l’intérêt à l’international.

L’armée

Sous le commandement du chef de l’armée, le général Juan José Zuniga, militaires et blindés avaient pris brièvement position mercredi face au parlement et au palais présidentiel sans heurts sérieux, si ce n’est 14 civils blessés.

Le général Zuniga, arrêté ainsi que 20 autres militaires du service actif, retraités, et civils, a soutenu avoir agi sur ordre du président qui lui aurait demandé de « mettre en scène quelque chose pour augmenter sa popularité ».

M. Arce a vigoureusement nié : « Comment pourrait-on ordonner ou planifier un auto-coup d’État ? […] Il a agi de son propre chef. »

L’opposition, elle, dénonce une « farce ».

Mais au-delà des soupçons et parts d’ombre, « je pense qu’il y a un profond malaise au sein des forces armées », a déclaré à l’AFP Gustavo Flores-Macias, de l’Université Cornell aux États-Unis. « Mais le fait que le coup d’État ait été contenu aussi rapidement prouve que, pour l’instant, le pouvoir civil a le dessus », estime-t-il.

Luis Arce renforcé

Soutenu par ses partisans et la communauté internationale, le président bolivien sort renforcé de ce qu’il a qualifié de « tentative de coup d’État ».

« À court terme, cela va conforter son gouvernement […] Mais ce sera de courte durée », observe Pablo Calderon, de la Northeastern University à Londres.

À un peu plus d’un an de la fin de son mandat entamé en 2020, M. Arce fait face à de multiples fronts.

Sur le plan social avec le mécontentement des puissants syndicats du commerce et du transport de marchandises en raison du ralentissement économique. Sur le plan politique avec une aile de son parti, le Mouvement vers le socialisme (MAS), restée fidèle à l’ancien président Evo Morales (2006-2019) qui entend bien se représenter sous la bannière du MAS qu’il a crée.

Ce soulèvement éphémère « donnera un coup de pouce » à sa très probable candidature à la réélection en 2025, car ce fut « une démonstration de son autorité », estime l’analyste Carlos Cordero, de l’Université catholique de Bolivie.

Evo Morales décidé

Evo Morales, premier chef d’État indigène qui a gouverné trois mandats durant, veut revenir au pouvoir malgré une décision de la Cour constitutionnelle lui interdisant au motif qu’il avait déjà effectué plus que le nombre autorisé par la constitution. Une décision qu’il conteste et juge « politique ».

En 2019, alors qu’il briguait un quatrième mandat, il a été contraint de démissionner après des manifestations dénonçant des fraudes électorales. Il s’est exilé pendant un an sous un gouvernement intérimaire de droite avant de revenir avec la victoire de Luis Arce, son ex-ministre des finances.

Les deux hommes désormais engagés dans une lutte de pouvoir sont devenus ennemis.

Mercredi, face au soulèvement militaire, Evo Morales a appelé ses soutiens à se mobiliser en faveur de la démocratie, sans jamais mentionner M. Arce.

Si Luis Arce est aujourd’hui aux commandes, l’ex-cultivateur de feuilles de coca continue « d’être le leader moral de la gauche bolivienne et il sera très difficile pour Arce de le mettre dans une boîte ou de l’exclure » de tout processus de négociation politique, estime l’analyste de l’université Cornell.

L’économie

Avec une population d’environ 12 millions d’habitants, la Bolivie traverse une crise profonde en raison de la chute des recettes provenant des exportations de gaz, sa principale source de devises jusqu’en 2023, en raison d’un manque d’investissements.

Et moins d’exportations signifie moins de dollars et moins d’importations de carburant que l’État vend à des prix subventionnés.

Parallèlement le coût de la vie a augmenté, étranglant les foyers modestes.

Ce qui s’est passé mercredi « n’améliore en rien la situation économique, au contraire elle la rend plus difficile […] l’incertitude a tendance à être mauvaise pour les affaires », affirme l’universitaire de la Northeastern University.

Et l’échec du coup d’État militaire va accroître le « sentiment de crise » ressenti par les Boliviens, note le professeur Macias-Flores.

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