«Black Summer ’91»: retour vers le futur

Rito Joseph, commissaire de «Black Summer’ 91» à la Fonderie Darling, devant un taxi, qui est un fil conducteur de l’exposition.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Rito Joseph, commissaire de «Black Summer’ 91» à la Fonderie Darling, devant un taxi, qui est un fil conducteur de l’exposition.

Chute de l’URSS, guerre du Golfe, coup d’État en Haïti, affrontements raciaux aux États-Unis : 1991, année charnière pour le monde, et Montréal n’y échappe pas. « C’est en outre le moment où le Bloc québécois voit le jour et donc où les débats sur la souveraineté refont surface », rappelle Rito Joseph, commissaire de l’exposition Black Summer ’91, présentée à la Fonderie Darling, mais aussi militant, conférencier, chercheur et guide sur l’histoire des Noirs.

Qui est pour, qui est contre la souveraineté ? Quel rôle les groupes et les communautés ethniques jouent-ils à l’époque dans la souveraineté québécoise ? Il y a plus de trois décennies, les interrogations identitaires et linguistiques sont légion. « Dans ce brouhaha apparaissent des conversations autour des mouvements néonazis, du KKK, des skinheads », souligne-t-il.

De brutalité policière et de racisme institutionnel il est aussi question. « Je dis que 1991 est une année charnière parce qu’il ne faut pas oublier qu’ici, quatre hommes noirs meurent pendant des altercations avec la police cette année-là », fait remarquer M. Joseph. Lors de l’été 1991, les habitants de Parc-Extension, de Saint-Michel, d’Hochelaga-Maisonneuve, de la Petite-Bourgogne et de Notre-Dame-de-Grâce se révoltent contre les discriminations et les crimes dont sont victimes les populations afro-descendantes montréalaises.

On perd quelqu’un, mais on peut quand même se consoler d’être qui l’on est, on peut quand même se consoler de faire ce que l’on fait

Honorer la mémoire, perpétuer la joie

L’exposition met en lumière de façon documentaire les archives de ces événements, qui ont duré 26 jours au coeur de la métropole, tout comme la vie et la culture en général, notamment au moyen d’oeuvres de Patrick F. Henry, Shaya Ishaq, Aaron Jones, Michaëlle Sergile et Carl-Philippe Simonise.

« On a opté pour une approche diasporique où le travail des artistes ne relate pas seulement les événements de 1991, comme Carl-Philippe, qui s’intéresse à l’enterrement de Marcellus François dans l’une de ses toiles, mais honore aussi le matriarcat : parce que lorsqu’on parle de la mort d’hommes noirs, on parle de femmes qui perdent un mari, un fils, un frère, un cousin, etc. », dit Rito Joseph, épaulé à l’occasion de Black Summer ’91 par l’animateur de radio et entrepreneur Freddy Lloyd.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Rito Joseph est accompagné par l’animateur de radio et entrepreneur Freddy Lloyd, qui l’a aidé à mettre en place l’événement.

Puisque le sujet abordé à la Fonderie Darling est lourd, il était par ailleurs essentiel de célébrer la vie. « On perd quelqu’un, mais on peut quand même se consoler d’être qui l’on est, on peut quand même se consoler de faire ce que l’on fait », explique le commissaire. « On a ensuite souhaité comparer un passé pas si lointain à l’époque coloniale », ajoute-t-il. L’année 1991 est, de fait, la toile qui met en relation la présence des personnes noires au Québec dans le temps, depuis les années 1600 jusqu’au XXe siècle.

Le taxi — un véhicule trône fièrement au beau milieu de la grande salle d’exposition — est lui aussi un fil conducteur de Black Summer ’91. « Les chauffeurs de taxi, en quelque sorte, sont comme les porteurs du début du XXe siècle, c’est-à-dire que ce sont eux qui nous permettent de nous déplacer », indique Rito Joseph. Ce véhicule est également une façon pour lui de rendre hommage à son père, chauffeur de taxi dans les années 1980 et 1990, et donc témoin privilégié des événements de l’été 1991, et à cette démographie spécifique des chauffeurs de taxi haïtiens. « C’est une culture vraiment intéressante, c’est une culture d’expansion, c’est une culture de migration », souligne-t-il.

En 1991, Robert Bourassa avait déjà refusé de reconnaître le racisme systémique… Donc, c’est intéressant de voir comment on fait le tour et qu’on revient presque toujours à la case départ.

Entre hier et aujourd’hui

L’artiste torontois Aaron Jones présente pour sa part des collages qui mélangent coupures de journaux de l’été 1991 et esthétique des X-Men, qui connaissent une résurgence à cette période, parallèlement à la quête d’acceptation des personnes afro-descendantes dans le monde et à la montée des mouvements de défense des droits civiques. « X-Men, c’est comme une guerre entre les exclus eux-mêmes, et c’est exactement ce que les médias et les gouvernements veulent nous faire croire depuis longtemps », affirme-t-il.

Selon lui, quelle que soit la personne qui gouverne l’espace, quelle que soit l’époque, les gens sont le problème. « Et ce sont les gens qui se battent », mentionne-t-il.

Les choses ont-elles évolué depuis une trentaine d’années ? « On a l’impression que oui, mais en fait, pas tant. Ce sont les mêmes sujets qui sont encore sur la table », répond Rito Joseph. Pour lui, il y a bien eu « quelques petites avancées », mais pas assez pour que le changement soit rapide. « En 1991, Robert Bourassa avait déjà refusé de reconnaître le racisme systémique… Donc, c’est intéressant de voir comment on fait le tour et qu’on revient presque toujours à la case départ », relève le commissaire.

Black Summer ’91 est aussi une manière pour lui de rendre compte de ces moeurs et de ces valeurs que la société conserve depuis l’époque coloniale. Et puis de revendiquer des changements. « Il est nécessaire de revenir sur ce qui s’est passé en 1991 et de continuer la revendication pour notre communauté, notre culture », conclut le commissaire.

Black Summer ’91

Commissaire : Rito Joseph. À la Fonderie Darling jusqu’au 18 août. Du mercredi au dimanche de 12 h à 19 h et jusqu’à 22 h le jeudi (entrée gratuite les mercredis et les jeudis).

À voir en vidéo