Drainville défend bec et ongles sa réforme de l’éducation
Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, estime que l’acquisition de plus de « données probantes » par son ministère aura des effets positifs sur la réussite scolaire des élèves. Il continue néanmoins de réfuter l’idée qu’une « école à trois vitesses » existe au Québec, puisque les études ayant mené à cette conclusion comportaient à son avis un « biais ».
« Moi, je trouve que la thèse sur l’école à trois vitesses a un biais idéologique », a déclaré le ministre lundi lors d’une table éditoriale organisée dans les bureaux du Devoir. « Un biais idéologique, c’est peut-être un peu fort, s’est-il repris. Mais je dirais un biais conceptuel, tiens. »
Le ministre critiquait de cette façon les conclusions du Conseil supérieur en éducation (CSE), qui a remis en 2016 un rapport avançant que le Québec avait le réseau scolaire le plus inéquitable du Canada. Avec sa nouvelle réforme, le CSE perd des plumes : sa mission devient circonscrite « aux questions relatives à l’enseignement supérieur », est-il écrit dans le projet de loi 23.
Après plusieurs plaidoyers en faveur des « connaissances scientifiques » et des « données probantes », M. Drainville s’en est pris aux façons d’évaluer le système scolaire québécois.
« De dire que l’accès à l’université, c’est la mesure par laquelle on doit juger si le système est égalitaire ou inégalitaire, à mon avis, c’est une vision courte », a-t-il plaidé. « C’est un raccourci intellectuel et, à quelque part, c’est une vision élitiste, également, de l’éducation, parce que quelqu’un qui décide d’aller étudier pour faire un métier spécialisé va être aussi heureux, sinon plus heureux, que s’il avait choisi d’aller à l’université. »
Selon une étude de 2019 du professeur Pierre Canisius Kamanzi, de l’Université de Montréal, 15 % des élèves qui fréquentent le public « ordinaire » au secondaire iront à l’université. Ce taux passe à 51 % pour le public avec sélection et à 60 % pour le privé.
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La réforme en éducation proposée par M. Drainville prévoit notamment que « le ministre peut, par règlement, prévoir les conditions et modalités relatives à la formation continue » des enseignants. En vertu de la loi actuelle, ce sont les enseignants eux-mêmes qui choisissent les activités de formation « qui répondent le mieux à [leurs] besoins ».
Or, certains professeurs se contentent de se tourner vers un livre, s’est désolé le ministre. « “J’ai lu un livre, ça compte pour 3 heures sur mon 30 heures [de formation continue obligatoire] sur deux ans” », a illustré M. Drainville, en disant citer de réels exemples. « Actuellement, le processus qui encadre la formation continue, ce n’est pas rigoureux. »
Il s’est défendu de vouloir « dicter les contenus » de la formation continue. « Dans certains cas, on va faire en sorte qu’un thème sera priorisé », comme l’enseignement du français ou encore la « gestion de la classe », a-t-il expliqué. « Mais pour l’essentiel, les profs vont choisir les formations. Et les directions d’école veilleront à ce qu’ils les suivent. »
Ses orientations sur la formation continue « démontrent concrètement », à son avis, l’engagement du gouvernement « envers la réussite scolaire », puisque cette formation amène à terme « une meilleure performance des élèves » et de « meilleurs résultats scolaires ». « Moi, mon mandat, en un mot ou en une phrase, c’est : comment est-ce que je peux améliorer la réussite scolaire ? » a-t-il résumé.
Centralisation
Avec sa réforme, le ministre Drainville retire aux membres des conseils d’administration des centres de services scolaires — et aux commissaires élus dans les commissions scolaires anglophones — le pouvoir de nommer les directeurs généraux de leur institution de gouvernance locale. Le ministre voit les d.g. comme des acteurs visant à « opérationnaliser » les orientations du ministère.
Il souhaite se donner le pouvoir d’infirmer leurs décisions, ou de les remplacer. « Ça pourrait arriver qu’un d.g. dise : “Les projets particuliers, moi, je n’y crois pas.” […] À un moment donné, il peut arriver qu’on dise : “Monsieur, Madame, on ne s’entend pas. Alors, on va se laisser, oui. Je vais devoir vous remplacer” », a-t-il reconnu.
M. Drainville a néanmoins rejeté — en partie — les reproches au sujet de la centralisation que crée son projet de loi. « C’est vrai, je donne au ministre de l’Éducation le pouvoir de nommer les directions générales des centres de services. Ça, c’est vrai. Maintenant, ce qui se passe par la suite, la mise en oeuvre des orientations, elle reste totalement décentralisée », a-t-il souligné.
Il a rejeté du revers de la main les critiques voulant qu’il se prive désormais de toute critique ou contrepoids. « On en lit tous les jours, des contrepoids dans les journaux. Les experts se prononcent ; les syndicats, qui sont très actifs, ne manquent pas de tribune pour se faire entendre. Les doyens, les éditorialistes et les chroniqueurs se font entendre », a-t-il énuméré.
Il a d’ailleurs reproché à ces contrepoids de faire une « comparaison un petit peu boiteuse » en mettant en parallèle la hausse de rémunération proposée aux élus de l’Assemblée nationale (30 %) et celle proposée aux enseignants — « qui ne gagnent pas assez », selon le ministre.
« Et si je m’appelais Michel David, je dirais qu’elle est un tantinet démagogique », a-t-il lancé au chroniqueur, qui était assis en face de lui. « Tu compares vraiment le job d’enseignant au job de député ? Tu es en train de me dire que ça se compare ? »