Les bâtiments existants comme antidote à la crise du logement
En pleine crise du logement, le parc immobilier du Québec manque d’entretien et tombe sous le pic des démolisseurs avec une « facilité déconcertante », souligne un nouvel essai qui paraît ces jours-ci. Les auteurs sonnent l’alarme sur l’importance de protéger les bâtiments existants. Non seulement pour loger les gens, mais aussi pour sauvegarder le patrimoine, prendre soin de la planète et renforcer la vie de quartier.
Au Québec, on a le réflexe de négliger l’entretien des immeubles et de les laisser à l’abandon en attendant de les démolir, sous prétexte qu’ils sont devenus irrécupérables. Résultat : des centaines de bâtiments restent inoccupés à Montréal et ailleurs, parfois à côté de campements de sans-abri.
Les normes de sécurité rigides, pensées en fonction des nouvelles constructions, compliquent pourtant la conversion en logements d’églises, d’espaces de bureaux et d’autres types de bâtiments désaffectés. Tout cela pendant que les prix des logements explosent en raison de la pénurie d’habitations.
« Notre cadre législatif et réglementaire a été pensé systématiquement pour le neuf. On doit changer cette tendance », fait valoir Léa Méthé, coordonnatrice de l’ouvrage Valoriser les bâtiments existants. Un levier pour le développement durable, publié aux éditions du Septentrion.
Ce livre extrêmement bien documenté, écrit avec les architectes André Bourassa et Richard Trempe, est à la fois un essai et un guide pratique visant à aider les propriétaires à bichonner leur maison. Il n’y a pratiquement que des avantages, y compris économiques, à sauvegarder les bâtiments existants, concluent les auteurs : la requalification d’un immeuble existant coûte entre 10 % et 22 % moins cher que de le démolir et de le reconstruire à neuf. Et les effets sur l’environnement sont infiniment moindres.
L’habitude de détruire
Le parc de logements du Québec est un des plus anciens du Canada. En 2017, 71 % des habitations dataient d’avant 1996 et 24 % d’avant 1961. Les bâtiments traditionnels, construits avant la deuxième moitié du siècle dernier, étaient conçus pour durer 120 ans sans travaux majeurs. Ceux qui ont été érigés il y a 50 ans ont une durée de vie utile deux fois plus courte et nécessitent aujourd’hui des rénovations importantes.
Or, « lorsqu’un bâtiment ne répond plus aux exigences de son utilisation, on préférera le détruire pour en construire un nouveau plutôt que de s’infliger les nombreuses contraintes relatives à la conversion », observe l’ingénieure belge Justine Bonhomme dans son mémoire de 2016 sur les églises du Québec.
Un parcours du combattant guette les propriétaires qui cherchent à convertir une église ou un immeuble commercial en logements, souligne Léa Méthé. La présence de bois dans une église, par exemple, crée un risque d’incendie. Les volumes intérieurs d’un tel bâtiment représentent un casse-tête pour l’aménagement de fenêtres ou de sorties de secours. Dans d’autres types d’immeubles, c’est la largeur des corridors ou des escaliers qui pose problème.
Au centre-ville de Montréal, 18 % de la superficie des tours de bureaux, désertées en raison du télétravail, reste ainsi inoccupée. Des dizaines d’églises et de résidences pour personnes âgées sont aussi abandonnées à cause de normes de sécurité coulées dans le béton — comme l’obligation extrêmement coûteuse d’installer des gicleurs.
La partie 10 du Code du bâtiment permet une certaine souplesse pour la requalification d’immeubles, mais les obstacles bureaucratiques grugent beaucoup de temps et découragent les promoteurs, explique l’autrice, qui était jusqu’à récemment directrice générale de l’organisme Écobâtiment, situé à Québec.
Nécessaires compromis
Compte tenu de la crise de l’itinérance et du logement, elle appelle à un changement de paradigme en matière de changement d’usage de bâtiments existants. « Il faut tenir compte des humains dans notre analyse de risque, pas seulement du bâtiment », fait valoir Léa Méthé.
« Oui, on doit être capables de sortir d’un immeuble en feu. Mais il y a aussi de très grands risques à avoir des familles incapables de se loger convenablement. Le risque d’avoir une population de sans-abri dans une ville où il y a du pied carré de libre, c’est un risque inhumain, inacceptable. Sur cette base-là, il y a des compromis à faire », ajoute-t-elle.
La spécialiste en habitation n’est pas la seule à faire ce constat. Le Devoir a rapporté récemment le même cri du coeur d’organismes communautaires et d’experts en urbanisme en faveur d’assouplissements pour permettre « l’occupation transitoire » — décrite comme une forme de « squat légal » — d’immeubles inoccupés.
Épidémie de démolition
Des États, notamment le Royaume-Uni et le New Jersey, ont mis en place des solutions pour faciliter le changement d’usage de bâtiments désaffectés. En France, la Loi climat et résilience indique que les bâtiments construits à partir de 2023 doivent être conçus en prévision d’un éventuel changement d’usage résidentiel.
À défaut d’un geste fort de l’État, des centaines d’immeubles susceptibles de loger des gens resteront désaffectés, et finalement démolis. Le président de l’Ordre des architectes du Québec, Pierre Corriveau, a résumé le défi : « À l’heure actuelle, tout peut être démoli, sauf ce qui doit être conservé. »
« Il propose d’inverser nos processus décisionnels pour considérer plutôt que tout doit être conservé, sauf ce qui peut être démoli », souligne Léa Méthé.
L’épidémie de démolition d’immeubles existants est nuisible à tous les égards. Des bâtiments témoins de l’histoire québécoise sont réduits en poussière. Ces immeubles anciens, souvent situés dans des quartiers centraux, contribuent pourtant à freiner l’étalement urbain. Ils sont généralement accessibles à pied, à vélo ou en transport en commun — un atout pour l’environnement et qui, en prime, apaise la congestion routière.
À la poubelle
De plus, la démolition d’un bâtiment représente une nuisance pour la planète : à peine 25 % des déchets de construction, de rénovation et de démolition sont recyclés. Ils représentent 38 % des matières résiduelles envoyées au dépotoir au Québec.
Pourquoi ? Parce que la démolition d’un bâtiment se fait à l’aide de pelles mécaniques et de bulldozers. Les débris sont envoyés en vrac au centre de tri. Ils sont tamisés mécaniquement et triés pour en retirer les rares éléments de valeur ayant résisté à l’assaut.
Des fenêtres, des briques, des poutres et d’autres matériaux pourraient pourtant trouver une deuxième vie si un système d’économie circulaire était mis en place dans l’industrie de la construction.