Un nouveau médicament qui freine l’alzheimer tarde à être approuvé au Canada

Ces images révélées par PET scan et fournies par le New England Journal of Medicine en janvier 2024 montrent une réduction des niveaux de bêta-amyloïde chez un patient atteint de la maladie d’Alzheimer après un traitement par ultrasons focalisés visant à ouvrir la barrière hématoencéphalique au bout de 26 semaines. Le rouge est associé à des niveaux plus élevés de bêta-amyloïde.
Photo: New England Journal of Medicine via Associated Press Ces images révélées par PET scan et fournies par le New England Journal of Medicine en janvier 2024 montrent une réduction des niveaux de bêta-amyloïde chez un patient atteint de la maladie d’Alzheimer après un traitement par ultrasons focalisés visant à ouvrir la barrière hématoencéphalique au bout de 26 semaines. Le rouge est associé à des niveaux plus élevés de bêta-amyloïde.

Le diagnostic est tombé il y a environ trois mois à la suite d’une tomographie par émission de positrons (PET scan) du cerveau. Les petites pertes de mémoire de Normand Viau étaient bel et bien dues à la maladie d’Alzheimer. Depuis ce verdict, la famille de M. Viau fonde beaucoup d’espoir sur le lécanémab, premier médicament agissant sur les causes de la maladie d’Alzheimer qui, selon les études, ralentit d’environ 30 % le déclin cognitif. Le problème : ce médicament qui a été approuvé aux États-Unis il y a un an ne l’est toujours pas ici. Santé Canada étudie toujours le dossier, qui a été déposé le 10 juin 2023.

M. Viau est un des patients qui pourraient recevoir le lécanémab (du nom commercial Leqembi), car son état répond parfaitement aux critères d’admissibilité. D’abord, il ne présente que des troubles cognitifs légers, signe qu’il n’en est qu’au tout début de la maladie. « Ma mémoire commence à faiblir, mais je suis en forme, je fais du sport tous les jours », dit-il en entrevue. « Il faut répéter plus souvent, mais il est toujours aussi ingénieux dans toutes les petites “patentes”. C’est surtout au niveau des affaires que c’est devenu plus complexe », renchérit son épouse.

Deuxième critère : le PET scan a mis en évidence la présence de plaques amyloïdes, une preuve biologique qu’« il est effectivement atteint de la maladie d’Alzheimer, et non pas d’une démence d’origine vasculaire », précise le Dr Simon Ducharme, neuropsychiatre et clinicien-chercheur au Neuro et au Centre de recherche Douglas.

« Il y a d’autres critères qui pourraient faire en sorte qu’un patient ne serait pas admissible à ce traitement, notamment s’il souffre d’autres maladies ou s’il prend d’autres médicaments susceptibles d’interagir avec le lécanémab et qui pourraient le mettre à risque de complications. Par exemple, les patients qui prennent des anticoagulants, des médicaments pour éclaircir le sang, seront probablement exclus », ajoute le Dr Fadi Massoud, gériatre à l’hôpital Charles-Le Moyne et à la clinique MoCA.

Selon une étude publiée il y a quelques mois, « il y aurait moins de 10 % des patients [atteints de la maladie d’Alzheimer] qui seraient admissibles pour des raisons de toutes sortes. Donc, même si le médicament arrive sur le marché, son administration risque d’être restreinte à une minorité de patients », résume le Dr Massoud.

Un coût prohibitif

Qui plus est, l’accès au lécanémab ne sera pas à la portée de tous les patients admissibles en raison de son coût prohibitif. Le traitement, qui est en principe d’une durée de 18 mois, pourrait coûter jusqu’à 30 000 $. À cela s’ajouteront les coûts des examens d’imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau (environ 1000 $ chacun), qui devront être effectués périodiquement durant le traitement afin de vérifier que le patient ne présente pas d’oedème cérébral ou d’accidents vasculaires cérébraux (AVC), deux effets secondaires possibles du traitement et qui, « chez de nombreux patients, ne donnent pas de symptômes », souligne le Dr Massoud.

Si de tels coûts ne sont pas remboursés par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), plusieurs patients ne seront pas en mesure de les assumer et, par conséquent, ne pourront bénéficier du traitement. C’est le cas de Sylvain Langlois, âgé de 57 ans, qui est atteint d’une forme familiale de la maladie d’Alzheimer (sa mère en est décédée et sa soeur en souffre). M. Langlois serait un candidat idéal pour le traitement au lécanémab, selon la Dre Marie-Pierre Thibodeau, gériatre à la clinique de cognition du CHUM, qui espère de tout coeur que son patient pourra le recevoir.

La conjointe de M. Langlois fonde aussi beaucoup d’espoir sur ce nouveau traitement. « Je m’accroche tellement à ce médicament, car mon mari est tellement jeune. Il a fait tous les examens [PET scan, IRM] qui sont exigés pour recevoir le traitement, il est tout prêt à le recevoir. Mais il faudrait qu’il soit remboursé parce que mon mari n’a pas d’assurances », dit-elle avec émotion.

Une fois que le médicament aura reçu l’approbation de Santé Canada, il pourra être prescrit, mais il devra être évalué par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), qui « en reconnaîtra ou non la valeur thérapeutique et en recommandera ou non le remboursement », rappelle le MSSS. Ce processus d’évaluation peut nécessiter jusqu’à six mois. L’INESSS a néanmoins déjà procédé à des consultations auprès de patients, de proches aidants, d’associations et de professionnels de la santé de la fin février à la mi-avril 2024, car le fabricant avait initialement manifesté son intention de déposer une demande d’évaluation à la fin mars 2024, mais il a finalement reporté le dépôt de sa soumission, préférant attendre la décision de Santé Canada. « Nous conservons toutes les informations transmises par les parties prenantes à des fins d’évaluation », a précisé l’INESSS.

« Dans l’optique d’une recommandation positive de l’INESSS, une négociation du prix du médicament doit s’ensuivre par le MSSS avec le fabricant. Il est donc trop tôt pour l’instant pour se prononcer quant à la possibilité de rembourser le lécanémab », a répondu au Devoir le MSSS. Pour sa part, Santé Canada n’a pas voulu préciser quand il rendrait sa décision : « Santé Canada ne commente pas le statut d’un médicament en cours d’examen. Le délai d’achèvement de l’examen dépend de nombreux facteurs, y compris, mais sans s’y limiter, le besoin de données supplémentaires, les discussions avec le fabricant et les exigences de mise à jour des informations de sécurité. Une décision sera prise une fois que toutes les informations requises auront été soigneusement évaluées par Santé Canada. »

Tous les médecins interrogés sont favorables à un remboursement par le gouvernement, mais tous s’attendent à des restrictions et à des critères d’admissibilité et d’exclusion très stricts, dont ceux énoncés précédemment, et probablement d’autres, comme « faire la preuve que le patient continue à bénéficier du traitement au bout de six mois. Il faut vraiment qu’il y ait un impact clinique associé à l’élimination de l’amyloïde. Or, cet impact peut varier d’un patient à l’autre », souligne le Dr Massoud.

« Pour le moment, le fabricant promeut un traitement de 18 mois. Mais si la majorité de la bêta-amyloïde disparaît en l’espace de 6 à 8 mois, est-il vraiment utile de continuer à traiter plus longtemps ? Les dépôts d’amyloïde ont pris probablement 20 à 30 ans à s’accumuler dans le cerveau, donc une fois qu’on les a enlevés, ça prendra encore 30 ans avant que ça redevienne problématique. Ainsi, il n’y aurait peut-être pas vraiment de justification à la prolongation du traitement », avance le Dr Judes Poirier, directeur adjoint du Centre d’études sur la prévention de la maladie d’Alzheimer au Centre de recherche Douglas.

« Ce qui est très important, c’est ce qui va se passer après les 18 mois de traitement, souligne pour sa part le Dr Ducharme. Si ce qu’on verra dans les études de suivi se présente comme un effet strictement ponctuel d’une fois, c’est-à-dire que le traitement ralentit la progression de 30 % parce qu’on a enlevé l’amyloïde, mais qu’après, les patients rejoignent la courbe [de progression habituelle de la maladie], on va se dire que ça ne vaut pas la peine de donner ce traitement compte tenu de sa complexité. Mais si on voit que les deux courbes continuent de se séparer, et qu’à 30 mois, ça ralentit de 50 %, ça change complètement la donne parce que, dans ce cas, on va repousser des hébergements en institution », fait-il valoir.

« Il faudra que ce ne soit remboursé que pour des patients qui vont en tirer le plus de bénéfices et courir le moins de risque », résume la Dre Thibodeau.

Chose certaine, la famille Viau est prête à assumer les frais du traitement coûte que coûte. « On va essayer de se faire rembourser par nos assurances personnelles et on pourra toujours en déduire un peu de nos impôts. Dès que ce sera disponible, let’s go ! » dit Mme Viau.

« Je veux voir mes petits-enfants grandir ! » lance Normand Viau.

Comment fonctionne le lécanémab ?

Le lécanémab sera le premier traitement à agir sur les causes de la maladie d’Alzheimer, contrairement aux médicaments actuellement administrés qui ne ciblent que les symptômes de la maladie. Le lécanémab (Leqembi) fonctionne comme un vaccin dont les anticorps vont attaquer la bêta-amyloïde, une protéine qui forme des plaques dans le cerveau des personnes atteintes. Une fois que les molécules d’amyloïde ont été brisées, elles sont éliminées du cerveau, explique le Dr Judes Poirier, du Centre de recherche Douglas. « En l’espace de quelques semaines, on observe une chute des quantités d’amyloïde dans le cerveau qui est assez spectaculaire et on mesure un léger ralentissement de la maladie : environ 30 % de réduction de la progression de la maladie en moyenne. Pour les scientifiques comme moi, c’est hautement significatif, mais le bénéfice perçu par certains patients peut être beaucoup moins clair », dit-il.

« Quand on dit que ça ralentit la progression, cela signifie qu’on ne revient pas en arrière, qu’il n’y a pas de récupération. Quand les symptômes apparaissent, les plaques amyloïdes ont déjà endommagé les neurones de façon irrémédiable. La destruction des plaques amyloïdes n’y changera rien, car le mal a été fait. Et les neurones, à l’instar des cellules cardiaques, ne sont pas remplacés lorsqu’ils meurent. Ils ne se régénèrent pas comme les cellules de la peau », souligne le chercheur.

Mais de nouvelles études sont en cours dans lesquelles on administre le médicament à des gens qui n’ont pas encore de symptômes. « On espère ainsi repousser la manifestation de la maladie de deux, trois, voire cinq ans. Ce qui serait une grande victoire, car, si le traitement retarde l’apparition des symptômes de cinq ans, on a calculé qu’on éliminerait 50 % des cas, car ces derniers mourront d’autres choses que de l’Alzheimer. Ce serait un énorme gain », conclut-il.

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