Danser partout, oui! mais il faut de l’argent
« La diffusion de la danse va bien au Québec », révèle Annie-Claude Coutu Geoffroy, nouvelle directrice de La danse sur les routes du Québec. Avec sa courte histoire, si fraîche, la danse contemporaine a pris de belles enjambées. Car en 1997, on ne comptait que 8 diffuseurs présentant parfois de la danse hors Montréal et Québec. En 2017, ils étaient 16 à offrir quelque 200 spectacles. L’an dernier, 32 diffuseurs ont invité 359 spectacles différents, présentés par 87 compagnies. Une différence majeure pour les créateurs et la vie de leurs oeuvres.
Près de 80 % des spectacles présentés en tournée dans la province sont des créations québécoises. « Pour que ça continue à aller bien, il faut vraiment plus de fonds », souligne Annie-Claude Coutu Geoffroy, en réaction au dernier budget du Québec pour les arts. Un budget qui ne permet pas à La danse sur les routes du Québec (DSR) de poursuivre son évolution, croit-elle.
En effet, tout n’est pas rose. La pandémie a laissé des traces : « On diffuse dans plus de lieux », remarque DSR, des lieux qui diffusent chacun plus de représentations, « mais chaque représentation est plus difficile à remplir qu’en 2018 ».
Les dépenses ont augmenté, les revenus n’ont pas suivi. « On note que la part de marché de chaque artiste diminue. En d’autres mots, il y a davantage de spectacles de danse qui sont diffusés, mais les artistes plus nombreux se produisent moins fréquemment et s’appauvrissent. »
Le nombre de spectateurs par représentation oscille d’une année à l’autre. Par représentation, ils étaient 232 en 2018-2019, 120 en 2021-2022, 205 en 2022-2023.
« Je ne sais pas comment lire cette baisse des spectateurs, confie Annie-Claude Coutu Geoffroy, parce que j’ai aussi un membre diffuseur qui m’a dit “cette année, c’était la plus belle saison de ma vie !”. Je pense que cette qualité-là importe beaucoup. »
Que veut le public ?
« Il y a de nouveaux projets qui émergent, comme Rhapsodie, de Sylvain Émard. Un spectacle-événement : huit villes vont l’accueillir au printemps. » Vingt interprètes y dansent, encerclés par le public. Une étude du mouvement de masse, quoi.
Les jeux du crépuscule, d’Ariane Boulet, sur le vieillissement, inspiré du travail dans les CHSLD où l’équipe danse avec les résidents, est un autre genre de spectacle qui se trouve aussi à tourner.
Encore ? Minuit quelque part, présenté en février à Danse Danse, se posera dans 31 villes. Ce spectacle-vitrine est fait de huit tableaux par des chorégraphes reconnus, dont Anne Plamondon, Ismaël Mouaraki et Marie Chouinard, et dansé par dix interprètes.
Ce spectacle est un exemple, souligne Mme Coutu Geoffroy, de la façon dont le travail des diffuseurs spécialisés en danse peut se faire main dans la main avec les pluris des régions. « Ce sont les spécialisés qui tiennent encore la création en danse à bout de bras ; ce sont eux les prescripteurs. »
Pour penser la diffusion de la danse, « il faut se demander ce que le public a envie de voir », dit Mme Coutu Geoffroy. Une question presque taboue, car la réponse peut émerger des attentes marketing ou populistes, des contraintes vues comme une entrave à la liberté du chorégraphe… ou comme une manière de construire la relation avec le public, les publics.
« Je pense que les désirs du public sont différents de ce qu’ils étaient avant la pandémie », confie la directrice de la DSR. « Je pense qu’on a besoin d’espoir. On a besoin de joie. »
La grande école de la danse
Y a-t-il des régions qui accueillent plus chaleureusement la danse ? « Lanaudière est vraiment la locomotive », dit en souriant Mme Coutu Geoffroy, qui y a travaillé 15 ans pour créer un réseau, avec les musées, les centres d’art, les municipalités. Baie-Comeau, Rimouski, Sept-Îles et Gaspé, qui oeuvrent conjointement, sont aussi accueillantes.
Finalement, n’est-ce pas l’éducation à la danse qui fait que cet art gagne à petits pas du terrain sur le territoire ? « Ce n’est pas pour rien que ça s’appelle Programme de développement de la danse (PDD), notre affaire », répond Mme Coutu Geoffroy.
« On y développe directement l’intérêt et les connaissances des diffuseurs pluridisciplinaires », qui composent leurs saisons, revenus obligent, en jonglant aussi avec l’humour, la musique, du spectacle jeunesse, du théâtre… Avec ce PDD, « on fait pas juste donner de l’argent aux diffuseurs : ils doivent s’impliquer ».
Ils s’engagent à participer à trois réunions de programmation par année, à suivre des formations obligatoires, à venir à Parcours Danse [la rencontre professionnelle annuelle sur la danse] et au Festival TransAmériques. « Ceux qui participent sont vraiment motivés et curieux. »
Récemment, ces diffuseurs se sont montrés curieux des disciplines. « La gigue a tourné pas mal ces dernières années, alors au dernier Parcours Danse on a fait une soirée de danse traditionnelle, avec le groupe Bon Débarras. C’était plein à craquer. »
« Là, ils s’intéressent aux danses urbaines : on monte une formation de deux jours sur le street dance, développée par Alexandra “Spicey” Landé. »
Tout cela demande du temps — même suivre ce genre de formation en exige. Les tournées de danse au Québec deviennent possibles par la solidification des réseaux, des relations. « Ça prend du temps, de l’humain, des rencontres entre… tout le monde… »
La possibilité de maintenir ce programme et sa croissance, nourris essentiellement par le Conseil des arts et des lettres du Québec, inquiète la directrice de la DSR. « Assurer la continuité du PDD qui soutient actuellement 32 diffuseurs, c’est le nerf de la guerre pour nous. »
« Durant la pandémie, nous avons reçu une aide spéciale. Si elle n’est pas reconduite, elle ne pourra pas inclure ces 32-là, ce qui ne leur permettra pas de consolider leur capacité à programmer la danse. »
« Ce serait désastreux. La diffusion de la danse sur les territoires se réalise actuellement en très grande part par ces membres », qui incluent chacun de cinq à six spectacles de danse différents dans leur saison.
Davantage d’argent permettrait d’aller plus vite vers les prochaines étapes : organiser plus des résidences de création dans les régions, consolider celles qui existent, pour permettre aux artistes de se poser, avec leur travail et leur vision, dans une communauté.
Peut-être aussi avoir « un diffuseur qui adopte un chorégraphe pour quelques années, pour que celui-ci ait plus de temps pour créer, pour que les spectateurs puissent être témoins et part de l’évolution d’une création », ou de la démarche au long cours d’un chorégraphe, lance Annie-Claude Coutu Geoffroy parmi les idées que la DSR couve.