«Vice, vertu, désir, folie»: récits flamands et du monde
De Dieu à l’humain, du pouvoir céleste à la réalité terrestre, c’est tout un récit d’art (occidental) que propose l’exposition Vice, vertu, désir, folie. Trois siècles de chefs-d’oeuvre flamands. Les Brueghel, Rubens, Van Dyck et autres Jordaens qui viennent d’atterrir au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) abordent les grands thèmes qui ont fait de la Flandre un carrefour de la peinture (surtout) entre 1450 et 1700.
Le propos de l’exposition, certes historique, traverse les siècles… jusqu’à nous. Ça parle de drames — guerres de religion, par exemple —, d’une représentation fidèle du réel, mais aussi du louable effort d’inclure des femmes dans le portrait. Il faut préciser aussi que l’art flamand est un des quatre axes de la collection encyclopédique du MBAM.
Les 150 oeuvres proviennent toutes, sauf une quinzaine du musée québécois, de la Fondation Phoebus, une sorte de Frick Collection belge, basée à Anvers. Passée auparavant par Denver et Dallas, Vice, vertu, désir, folie honore à la fois un art et une institution flamands. La brique de 430 pages produite pour l’occasion, et traduite au français en raison de l’arrêt montréalais, n’est pas le catalogue habituel, mais un résumé de ce que ce territoire du nord de l’Europe a apporté à l’histoire de l’art, en prenant la collection Phoebus comme objet d’étude.
Le récit proposé au musée, d’abord chronologique, s’apparente somme toute à celui du livre. Il se décline en sept sections, certaines aussi limpides que le genre qu’il annonce (le portrait), d’autres plus imprécises (« Mythologie et nature »). Il place la Flandre à l’origine du renouveau pictural, plus réaliste, qui rompt avec ce que le Moyen Âge prônait. À l’époque de l’après-Colomb, Anvers devient, par son port, un pôle du commerce mondial. Il a d’ailleurs été établi que le marché de l’art est né là, au XVIe siècle. Les artistes ne dépendent plus des commandes de l’Église et les sujets non religieux se multiplient.
Nature morte de gibier (vers 1640), l’immense toile de Frans Snyders qui s’offre en préambule en haut de l’escalier du pavillon Michal et Renata Hornstein, est un fabuleux condensé du programme qui suivra. Si le genre « nature morte » avec trophées de chasse devient populaire au XVIIe siècle — il y a plus d’un exemple dans l’expo —, Snyders oppose abondance et retenue, plaisirs (y compris charnels), spiritualité et chasteté. Le sanglier, attribut de Diane, déesse vierge, est peint, renversé, pattes en l’air.
Constante dualité
La première salle, la plus religieuse, réunit retables, scènes de la Nativité, plus d’une Vierge à l’Enfant et quelques crucifixions. Le contraste avec le tableau profane de Snyders est frappant, même si les Marie et autres saints sont plus humains, et détaillés, que ce que proposaient auparavant les arts gothique et roman. Le rythme sera à cette image, en constante dualité.
Aux portraits de bourgeois empreint de dignité et de triomphalisme de la section suivante succèdent les personnages sombres ou risibles de celle intitulée « Foi et folie ». Le muret qui sépare les deux parties agit comme un diviseur de classes sociales. Reste qu’entre Portrait de l’archiduc Albert d’Autriche (vers 1615), de Pierre Paul Rubens, au rouge de velours, lumineux, et le fantasque du Commerce de fous (vers 1550), un portrait de société teinté de morale par Frans Verbeeck, c’est toute une époque qui se révèle, avec ses travers, ses excès, ses prétentions.
Les trois salles suivantes entremêlent des thématiques similaires, avec toujours cette attention que les commissaires Katharina Van Cauteren, de Phoebus, et Chloé Pelletier, la nouvelle conservatrice de l’art européen au MBAM, ont eue pour des effets contrastants. Dans « Mythologie et nature », un Apollon dominant les ténèbres dans une huile un peu trop pesante avoisine la science d’un Rembert Dodoens, médecin et auteur d’un délicat traité de botanique. Dans « Rencontres mondiales », l’exotisme d’un cabinet de curiosités fait face à la cartographie naissante de la planète. Dans « Un monde en crise », les sujets religieux ressurgissent, en écho aux efforts des souverains espagnols qui tentent de garder, par l’art, la Flandre catholique. Placés face à face, deux tableaux de Jacob Jordaens, une sérénade et une Sainte Famille illustrent les deux courants narratifs.
La dernière salle est un véritable festin pour les yeux. À teneur critique. Sous le titre « Vanité », les commissaires ont rassemblé vie et mort, comme le veut ce terme allégorique, et placé une quarantaine de tableaux bien collés, à la manière des salons privés de l’époque. Katharina Van Cauteren et Chloé Pelletier posent la question sur la validité des collections qui jaillissent au XVIIe siècle et celles des musées, héritières des premières. « Nous vous invitons, écrivent-elles, à réfléchir à l’éventail de désirs — créer des liens, posséder, s’émerveiller, apprendre — qui sous-tendent la collection et l’exposition d’oeuvres d’art, hier comme aujourd’hui. »
Les vices et vertus, comme les désirs et folies, sont des caractéristiques humaines, intemporelles, qui entraînent du bon et du mauvais. Le souhait d’inclure les exclues de l’histoire permet de découvrir quatre artistes (Catharina van Hemessen, Michaelina Wautier, Catarina Ykens, Clara Peeters). C’est louable. Or, le petit nombre d’oeuvres (une de chacune) rend leur présence presque anecdotique. L’exposition ne dit pas si ceci est à l’image de la collection Phoebus. Elle donne cependant l’impression de rester en deçà d’une récente mise à jour concernant, par exemple, Wautier, qui a eu droit, ailleurs, à sa rétrospective en 2018.