Réunir les esprits avec l'art autochtone

L’oeuvre de Joseph Tisiga appelée «Dreamcatcher» est faite avec des pastels à l’huile une sur toile de tente.
Photo: Joseph Tisiga L’oeuvre de Joseph Tisiga appelée «Dreamcatcher» est faite avec des pastels à l’huile une sur toile de tente.

Le rattrapage en matière de visibilité des cultures et savoirs autochtones se poursuit avec raison. L’ampleur qu’a prise ce printemps la Biennale d’art autochtone contemporain (BACA) en est sans doute un des meilleurs exemples. Mais ces efforts se manifestent désormais, aussi, en plein air.

La septième et dernière exposition de la BACA à être inaugurée fait la part belle au « surnaturel », phénomène parallèle pour expliquer le monde, mais déprécié par la science dite sérieuse. Elle a lieu au centre Expression, à Saint-Hyacinthe, une des destinations qui font grandir la biennale en sa 7e édition.

La nouveauté, c’est hors BACA qu’elle se déroule, dans un projet au centre-ville de Montréal qui mêle art public, mobilier urbain et archéologie. Inspirées par la manière des Premières Nations de comprendre et de mener la vie, vingt et une oeuvres en bronze traitent de thèmes aussi variés que la vie marine, le commerce ou la justice.

Onze stations

Longue de 2,4 km, la rue Peel relie, en ligne droite, les bassins du même nom au mont Royal. L’eau et la forêt, ou plus particulièrement l’embouchure du canal de Lachine et l’accès au parc du Mont-Royal, sont deux symboles forts de Montréal, déjà soulignés depuis 2017 par la promenade Fleuve-Montagne.

Désormais, avec le « parcours Peel », inauguré au début de juin, cette rue devient un peu plus emblématique, car elle déterre un chemin qu’empruntaient les populations présentes avant l’arrivée de Jacques Cartier. L’histoire n’est plus uniquement celle en surface. Onze stations ont été dispersées entre la rue Smith et l’avenue des Pins. Des panneaux signalétiques identifient les oeuvres (permanentes) et un balado de l’application Portrait sonore fournit les explications.

Photo: Christian Chapman Une des oeuvres de l’exposition

L’idée du parcours s’est présentée en 2016, lorsque des travaux sous la rue Sherbrooke ont révélé une maison longue, des sépultures et des milliers de poteries. « C’étaient les restes d’un village iroquoien datant de 1350. On est bien au-delà de Cartier », dit avec étonnement Aurélie Arnaud, chargée de mission à la Ville de Montréal. Au moment de la découverte, l’administration cherchait à prendre la voie de la réconciliation avec les Premières Nations. De là point le souhait « de faire du projet de rénovation d’une rue, un projet de commémoration », selon Aurélie Arnaud. « On voulait quelque chose qui ne soit pas une vision allochtone, précise-t-elle. Là, on parle d’un narratif autochtone, qui parle aux gens de Kahnawake. »

Le parcours Peel est né des discussions avec les Mohawks de Kahnawake. Ceux-ci ont proposé, comme source thématique, le rituel de remerciement « Les mots avant tous les autres », pratiqué dans le territoire Haudenosaunee, qui s’étend de Montréal jusqu’au-delà de Toronto et de Buffalo. À chaque station correspondent des bancs sphériques, pour s’asseoir, et qui, en réalité, sont des oeuvres, soit de MC Snow, soit de Kyra Revenko, soit des deux artistes.

« “Les mots avant tout” se disent comme une action de grâce avant n’importe quel grand rassemblement, pour nous mettre tous sur la même page, pour réunir nos esprits », explique MC Snow, de Kahnawake, qui bénéficie ici d’une rare présence sur l’île.

Le parcours repose sur un dialogue, une discussion à plusieurs niveaux, dont celle qui réunit des artistes de deux cultures — Kyra Revenko est de Montréal. Dans cet échange entre les mondes et traditions autochtones et allochtones, il n’y a pas cacophonie. Harmonieux, l’ensemble parle de cohabitation et de complémentarité.

Sur fond monochrome, l’iconographie est sculptée en relief ou en creux. Les compositions qui marient souvent la forme sphérique proposent un récit en spirale, à la manière de l’interprétation allochtone du thème « L’échange », où se succèdent des flacons (d’alcool ?) et un pot qui déverse ses balles de plomb.

« J’ai porté une responsabilité, concède Kyra Revenko, consciente du poids historique qui lui incombait. Finalement, [c’est] un grand honneur. Mon iconographie, subtile, informe sur les failles du système. Je me situe dans un interstice entre la réalité coloniale et la postcoloniale qui, j’espère, est parmi nous. »

Photo: Christian Chapman Une oeuvre de Christian Chapman

Si, d’une station à l’autre, le programme thématique est parfois similaire (« Vie aquatique » et « Eau » se suivent de près), une part de mystère teinte l’ensemble du parcours. Même lorsque les motifs ou les figures ne surprennent pas, ça ne se découvre pas à première vue. Le bestiaire des constellations du « Monde céleste » habille sa sphère avec audace. Il faut faire parfois attention, cependant, lorsque les sculptures frôlent la piste cyclable. Comment se fait-il qu’il existe encore des aménagements urbains qui rendent incompatibles art et sport ?

Côté surnaturel

À Expression, neuf artistes explorent les récits surnaturels dans lesquels les Autochtones puisent leur force et leur identité. Trois propositions se démarquent.

Dans les vidéos de Casey Koyczan, l’accumulation de matériaux de prédilection (bois de caribou, perles, épines de porc-épic) forme des personnages gigantesques davantage protecteurs que destructeurs. S’étalant jusqu’au sol, l’apparente abstraction que Joseph Tisiga peint sur une toile de tente représente un fascinant capteur de rêves duquel notre regard s’extirpe avec difficulté. Plus politiques, les trois oeuvres sur papier de Michelle Sound décrivent les blessures et les soins apportés dans le contexte d’acculturation vécu par les Cris.

Récits de création du monde. Surnaturel.

7e Biennale d’art contemporain autochtone. À Expression, Centre d’exposition de Saint-Hyacinthe, 495, avenue Saint-Simon, jusqu’au 8 septembre.

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