Rembrandt: explorations artistiques

Rembrandt van Rijn, «Le Moulin», 1641
Photo: Rik Klein Gotink Rembrandt van Rijn, «Le Moulin», 1641

Nos fidèles lecteurs se souviendront certainement de la très tarabiscotée exposition Rembrandt à Amsterdam qui s’est tenue au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, en 2021. Il s’agissait d’une présentation, en provenance du Städel Museum en Allemagne, saupoudrée d’une lecture postcoloniale plutôt décevante, peu réfléchie, prétexte pour faire le procès de la société de l’époque et même de Rembrandt, complice par association du colonialisme et du racisme…

Voici que le Musée national des beaux-arts du Québec, à Québec, nous propose sa vision du célèbre artiste hollandais, mais, cette fois-ci, sans cet outil critique forcé. Élaborée par le Museum Boijmans van Beuningen aux Pays-Bas, cette expo est plus classique, peut-être même un peu trop, et ce, malgré quelques liens avec l’art contemporain… Mais elle se révèle passionnante à ceux qui prendront le temps de l’explorer.

Une recherche plastique sur les possibilités de la gravure

Rembrandt Harmenszoon van Rijn, fils de Harmen, meunier dont le moulin était sur le Rhin — mais qui signa aussi van Leiden au début de sa carrière, en lien avec sa ville natale —, devint un peintre amstellodamois célèbre, à 25 ans, grâce à son tableau La leçon d’anatomie du docteur Nicolaes Tulp (1632). Dans ce portrait de groupe, il mettait en scène un théâtre anatomique où, devant public, avait lieu la dissection d’un corps humain. Un changement majeur dans le rapport au corps et à la science médicale.

En plus de sa renommée en tant que peintre et dessinateur, Rembrandt fut aussi un graveur très prolifique qui réalisa « 300 gravures entre 1625 et 1665 ». Et c’est cette production qui est présentée et expliquée d’une manière très didactique. Toute une section est d’ailleurs consacrée à la technique de l’eau-forte.

Photo: Rik Klein Gotink Rembrandt van Rijn, «Paysage avec trois chaumières au bord d'une route», 1650

Jusqu’en 1640, Rembrandt utilise les eaux-fortes surtout pour réaliser des reproductions de ses tableaux, qu’il diffuse ainsi auprès d’un plus large auditoire. Mais, par la suite, ce moyen d’expression devint autonome. À partir de la même plaque, il réalisa divers états, variations formelles où s’exprime son désir de créer des atmosphères et des effets visuels riches. Dans le cas de La résurrection de Lazare (1632), il alla même jusqu’à réaliser neuf versions différentes à partir de la même plaque de métal.

L’expo traite aussi de la technique au burin, du rehaut ainsi que d’oeuvres faites à la pointe sèche et même des papiers ainsi que des supports utilisés par l’artiste afin de créer des oeuvres expressives. Il utilisa entre autres un papier japon, importé par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, papier « au ton tirant sur le jaune », ce qui « atténue le contraste que produit l’encre noire sur un papier blanc » et crée des effets très soyeux. Il utilisa aussi le papier vélin, une peau d’animal, ainsi qu’un papier cartouche, papier d’emballage à la teinte grise. C’est un des grands mérites de cette expo que d’expliquer tous les moyens créés par Rembrandt afin de développer sa recherche plastique.

Des moyens qui lui permirent d’élaborer des oeuvres parfois très fines et détaillées et, d’autres fois, frôlant l’abstraction — pensons à L’étoile des Rois (1651) presque entièrement noire… Ces gravures le rendirent encore plus célèbre, tout comme ce fut le cas de Dürer au début du XVe siècle. Une de ces gravures, Le Christ bénissant les enfants et guérissant les malades (1648), atteignit le prix de 100 florins, l’équivalent du salaire mensuel d’un professeur à l’époque !

Photo: Rik Klein Gotink Rembrandt van Rijn, «Le Christ bénissant les enfants et guérissant les malades ("La Pièce aux cent florins")», vers 1648

Binettes, portraits et égoportraits

Cette expo est aussi une occasion de revenir brièvement sur la question du portrait et de l’autoportrait.

Une section intitulée « Tronies » permettra de mieux comprendre un type de création associé au portrait et qui a été un peu oublié. Ces « études de caractères appelées tronies (têtes) » ou binettes, ou bien tronches, étaient « alors très prisées sur le marché de l’art » et représentaient des archétypes tels que « le paysan, le mendiant, l’Oriental… ». Les parents de Rembrandt posèrent souvent dans ce but…

Photo: Rik Klein Gotink Rembrandt van Rijn, «Tête de la mère de Rembrandt avec une coiffe en étoffe, regardant vers le bas», 1633

Rembrandt fut aussi un portraitiste très prisé et un artiste qui explora avec inventivité le genre de l’autoportrait. Rappelons comment en Occident, depuis au moins la Renaissance, ces autoportraits ont été le signe que les artistes s’étaient élevés socialement. Citons ceux d’Albert Dürer, de Sandro Botticelli, de Sofonisba Anguissola… L’époque baroque fut tout aussi friande du genre avec les autoreprésentations de Rembrandt van Rijn, Diego Vélasquez, Artemisia Gentileschi… Mais méfions-nous d’une lecture réductrice de l’autoportrait. Ils ne furent pas l’incarnation d’un désir de réalisme, mais plutôt la projection d’une idée de l’artiste et de l’individu. Le texte de présentation parle avec raison de ces autoportraits comme de représentations dignes d’« un acteur de théâtre ». Pas si loin de ce qu’on nomme de nos jours, avec grand mépris, des égoportraits.

Rembrandt exécuta au moins 68 autoportraits picturaux et 26 autoportraits à l’eau-forte. On regrettera que cette expo au MNBAQ ne nous montre que 4 autoportraits gravés.

Photo: Rik Klein Gotink Rembrandt van Rijn, «Rembrandt tenant un sabre», 1634

Le visiteur notera comment cette expo est ponctuée d’oeuvres d’artistes du Québec inspirés par Rembrandt, initiative louable étant donné le peu de présence de nos artistes dans les expos de nos musées. Malheureusement, cela est parfois un peu forcé… Une section séparée expliquant plus significativement l’influence de son art sur celui du Québec aurait certainement rendu le propos plus riche.

Nicolas Mavrikakis s’est rendu à Québec à l’invitation du Musée national des beaux-arts du Québec.

Rembrandt. Gravures du Museum Boijmans van Beuningen

Commissaires : Peter van der Coelen, conservateur des estampes et des dessins au Museum Boijmans Van Beuningen, et André Gilbert, commissaire d’expositions au MNBAQ. Au Musée national des beaux-arts du Québec, jusqu’au 2 septembre. 

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