Avec «Les diamants irréguliers», Yann Pocreau veut accroître la visibilité des populations marginalisées
Une nouvelle oeuvre d’art public de l’artiste Yann Pocreau orne l’intersection des rues Berri et Sainte-Catherine, sur le terrain de l’UQAM. Le triptyque des sculptures vertes baptisé Les diamants irréguliers rend hommage au « fier monde » habitant le quartier du Centre-Sud.
La chaleur accablante qui frappait Montréal n’a pas fait fondre l’enthousiasme de Yann Pocreau, ni celui de la petite foule qui s’était déplacée pour assister, mardi, à l’inauguration de sa troisième oeuvre d’art public à l’intersection des rues Berri et Sainte-Catherine, à Montréal. L’artiste, qui se spécialise dans la photographie, la sculpture et l’installation, s’est donné pour mission d’accroître la visibilité des populations marginalisées qui fréquentent ce secteur, dont beaucoup de personnes en situation d’itinérance.
Les trois sculptures en bronze, de couleur vert-de-gris, présentent des traits orthogonaux, mais irréguliers. Leur forme évoque une pierre précieuse imparfaite. Leur voisinage inclut la place Émilie-Gamelin, le Village et le centre communautaire Cactus, qui travaille en réduction des méfaits notamment auprès des personnes utilisatrices de drogues et des travailleuses du sexe.
« Vous l’aurez compris, un projet comme celui-là, c’est basé sur des questions de communauté, de collectivité ! » s’est exclamé M. Pocreau, en dévoilant son oeuvre en compagnie de la responsable de la culture au comité exécutif de la Ville de Montréal, Ericka Alneus. L’oeuvre de Yann Pocreau a été sélectionnée à l’issue d’un concours lancé par la Ville. L’artiste a mené pendant près de deux ans une démarche de création collaborative avec la clientèle du centre Cactus. Les participants sont intervenus sur les sculptures par l’écriture ou le dessin.
Un des participants a dessiné son visage, vu de profil. Un autre a esquissé plusieurs croquis de bâtiments et a inscrit ce rappel sous les dessins : « 142 personnes mortes de froid entre 2018 et 2022. À qui la rue ? » Un autre est allé d’une formule plus prosaïque : « Ça pourrait être pire. » Au total, ce sont plus de soixante personnes qui ont participé au projet de M. Pocreau, qui a tenu à toutes les nommer et à les remercier durant le dévoilement de son oeuvre.
L’art comme un refuge
« J’ai la profonde conviction que l’art peut être un refuge, a déclaré Yann Pocreau, visiblement ému. Je suis persuadé que l’art, particulièrement dans l’espace public, peut changer des vies. Je suis convaincu de sa force », a-t-il poursuivi, se livrant à un véritable plaidoyer pour la démocratisation de l’art.
C’est dans cette optique que l’artiste a approché le centre Cactus. Francis, l’un des participants au projet, a souligné l’importance de ce type d’oeuvre d’art pour rappeler la présence et la vie, parfois éphémères, de la clientèle du centre : « Beaucoup des amis sont disparus et bien d’autres vont disparaître, a dit Francis, présent à l’inauguration. Les plus forts vont survivre dans la rue et les autres vont survivre, gravés sur les pierres. »
Jean-François Mary, directeur général du centre, s’est réjoui de la symbolique représentée par le triptyque. « Ces Diamants irréguliers sont aussi un symbole de ces nouvelles dynamiques d’inclusion plutôt que d’exclusion, de reconnaissance de l’existence de l’autre, qui n’est finalement pas si différent de nous-mêmes », a-t-il expliqué.
Le directeur s’est également exprimé sur la crise des opioïdes, dont les conséquences se font durement ressentir dans le quartier, la ville et ailleurs au pays. L’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ) a recensé, pour l’année 2023, 536 décès liés à une intoxication suspectée aux opioïdes ou aux autres drogues au Québec. Ce nombre est stable par rapport à 2022, mais est en forte augmentation par rapport à la décennie précédente.
« Nous n’avons jamais eu autant de morts dans nos milieux que ce que nous vivons actuellement. Cette oeuvre est aussi un moyen pour ceux et celles qui ont participé de graver dans le bronze leur existence. Une reconnaissance que beaucoup ne reçoivent même pas dans la mort », a ajouté M. Mary, avant de souligner que certaines personnes qui ont participé à l’oeuvre collective sont aujourd’hui décédées.
La réalisation des Diamants irréguliers a bénéficié du soutien de la Ville de Montréal et de l’UQAM, qui héberge sur son terrain la nouvelle oeuvre d’art public. « C’est important, en particulier dans le quartier, que l’art prenne place et mette de la joie dans un quartier qui en a besoin », a déclaré le recteur de l’UQAM, Stéphane Pallage, avant de rappeler que Yann Pocreau était un ancien étudiant de l’établissement.