Les arts et les cultures autochtones de mieux en mieux reconnus

Caroline Bertrand
Collaboration sspéciale
Loss (Perte) de Taqralik Partridge, 2020
Photo: Taqralik Partridge Loss (Perte) de Taqralik Partridge, 2020

Ce texte fait partie du cahier spécial Développement autochtone

Au Québec, les artistes des Premiers Peuples semblent enfin jouir d’une place de choix dans le paysage culturel. Le travail d’Eruoma Awashish, de Jason Sikoak et de Taqralik Partridge, comme d’autres, s’est vu honorer cette année.

Eruoma Awashish, lauréate du Prix en art actuel du Musée national des beaux-arts du Québec 2025

« L’art, c’est un beau moyen de communiquer avec les gens, par les émotions, par le coeur. C’est pour ça que j’en fais », affirme en entrevue Eruoma Awashish, issue d’un père attikamek et d’une mère québécoise.

Ayant grandi dans la communauté attikamek d’Opitciwan, en Haute-Mauricie, l’artiste ressent une appartenance viscérale à cette culture. Par ses créations, elle souhaite faciliter la compréhension des cultures des Premières Nations.

« J’essaie de communiquer les souffrances que notre peuple a vécues, mais pas en culpabilisant les gens, plutôt en les touchant droit au coeur pour qu’ils comprennent ce qu’on a vécu et qu’ils ne soient plus dans le jugement », expose-t-elle, rappelant que l’histoire des Premières Nations, c’est aussi celle des Québécois, des Canadiens. « Quand les gens comprennent, c’est plus facile de nous faire une place dans la société. »

Elle affectionne particulièrement l’installation, transformant crânes, fourrure, plumes et autres matières issues de la chasse en création — aucun gaspillage des animaux, comme le prône sa culture. « On s’en nourrit, on s’en soigne, on s’en vêt : c’est une façon de les honorer, de leur montrer qu’on est conscients que l’on prend une vie. C’est un sacrifice que fait l’animal pour nourrir notre famille. » Et pour elle, l’esprit de l’animal continue de vivre à travers ses créations.

La résidente de Saint-Prime, au Lac-Saint-Jean, tout près de la communauté innue de Mashteuiatsh, estime que « les artistes autochtones participent activement à l’éveil, à la résurgence de leurs peuples », les comparant aux guerriers ayant toujours existé au sein de leurs cultures. « On combat par l’art. On réussit à défendre nos convictions. »

Jason Sikoak, en lice pour le Prix Sobey pour les arts 2024 (catégorie Circumpolaire)

Nommer des techniques ou disciplines de prédilection n’est pas une tâche simple pour l’artiste inuit interdisciplinaire non binaire Jason Sikoak, établi à Montréal. Tout peut, en effet, se muer en matériau — son trouble du déficit de l’attention n’y est pas forcément étranger, confie l’artiste en entrevue.

Ni le fait d’avoir grandi dans la toute petite municipalité de Rigolet, à Terre-Neuve-et-Labrador, où l’artiste ne disposait pas toujours de papier ou de crayons. Ce n’est donc pas étonnant que Jason Sikoak ait exploré un éventail de techniques : bois, pierre, os, textile, dessin à la plume et à l’encre…

Photo: Jason Sikoak () de Jason Sikoak, 2019

Au coeur de ses créations se dessinent les histoires de son peuple, ancestrales comme contemporaines. S’enchevêtrent spiritualité, colonialisme, environnement. Les matériaux, qui changent au fil du temps, se mettent au service des récits.

« C’est ma façon de me reconnecter à un passé qui s’est perdu, duquel même mon père se souvient peu, mais aussi une façon de vivre dans le monde actuel, fait aussi de mixité. Moi-même, je me sens hybride », raconte l’artiste, qui a conçu deux pièces pour la Monnaie royale canadienne.

Si les Inuits ont de tout temps raconté leurs histoires, Jason Sikoak estime qu’aujourd’hui, les gens les écoutent. « Je sens que l’art les fait revivre. La beauté d’une oeuvre peut attirer quelqu’un et amorcer une discussion. »

Aux prises avec le syndrome de l’imposteur, l’artiste se réjouit que les gens aiment ses créations… et qu’elles lui permettent de se nourrir, son existence ayant déjà été très difficile. « L’art a toujours été là pour moi. Il [a sauvé ma] vie à plusieurs reprises, en me permettant d’exprimer des émotions horribles concernant ce que nous avons subi. »

Taqralik Partridge, en lice pour le Prix Sobey pour les arts 2024 (catégorie Circumpolaire)

Taqralik Partridge, née d’un père inuit et d’une mère écossaise, mène une carrière artistique sous le signe de la diversité. En effet, à ses yeux, « l’acte de création ne dépend pas du médium, mais plutôt de l’habilité d’écouter le médium et de faire ce qu’il veut devenir », expose en entrevue la résidente d’Ottawa, qui a vécu quelques années entre la Norvège et le Canada.

« C’est la philosophie des sculptures inuites anciennes, mais c’est vrai pour toutes sortes de médiums. C’est pour ça que je travaille avec autant de médiums. Je ne vois pas de différences entre eux. »

Non seulement elle est artiste visuelle — en janvier dernier, elle a présenté sa toute première exposition solo —, mais elle est également écrivaine, poétesse de tradition orale et chanteuse de gorge. « J’ai toujours fait des vêtements inuits, du perlage, du dessin… », se souvient-elle.

Son oeuvre décrit la vie et les expériences des Inuits dans le nord et dans le sud du Québec — peuple autochtone qui, bien qu’ayant ses cultures distinctes, partage à ses yeux moult expériences avec les Premières Nations. Ses créations traitent, entre autres, d’itinérance et d’injustice. « La société n’est pas conçue pour les Autochtones, elle a été faite pour qu’ils n’existent plus. »

Lorsqu’il est question de la place qu’occupent aujourd’hui les artistes autochtones sur la scène québécoise, Taqralik Partridge est sans détour : « Je pense qu’il y a beaucoup de travail à faire en matière de relations entre les Autochtones et non-Autochtones au Québec. Mais c’est bien qu’on veuille en discuter davantage. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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