Appel à un encadrement légal de la liberté d’enseignement dans les cégeps

Près de la moitié  des professeurs sondés par la Fédération de l’enseignement collégial  ont souligné s’être «censurés» au cours des cinq dernières années en évitant d’enseigner un sujet en particulier, «par crainte de répercussions négatives».
Photo: Michaël Monnier Archives Le Devoir Près de la moitié des professeurs sondés par la Fédération de l’enseignement collégial ont souligné s’être «censurés» au cours des cinq dernières années en évitant d’enseigner un sujet en particulier, «par crainte de répercussions négatives».

Les professeurs des cégeps du Québec unissent leur voix pour presser Québec d’élargir l’application de la Loi sur la liberté académique en milieu universitaire au réseau collégial afin qu’ils se sentent libres d’exprimer leur opinion « sans crainte de représailles » de la part de leur employeur. Une demande qui survient deux ans après la mise en application de cette loi, dont des professeurs universitaires tirent un bilan nuancé.

C’est après avoir mené l’automne dernier un sondage auprès de 500 professeurs que la Fédération de l’enseignement collégial (FEC-CSQ) en est venue à demander au gouvernement d’étendre l’application de cette loi provinciale aux cégeps, a appris Le Devoir. L’organisation effectuera d’ailleurs une sortie publique à cet effet vendredi, une semaine après que ses membres ont adopté à l’unanimité, le 30 mai, un énoncé de principe qui souligne notamment l’importance de leur accorder « une pleine liberté d’exprimer leur opinion sur l’établissement » et de participer à des « débats dans l’espace public » sans craindre de subir des « représailles » de la part de leur employeur.

« On veut s’assurer qu’il n’y ait pas de dérives » dans les cégeps, résume le président de la FEC-CSQ, Youri Blanchet, en entrevue au Devoir.

Ce sont d’ailleurs près de la moitié (48,7 %) des professeurs sondés par la fédération qui avaient souligné s’être « censurés » au cours des cinq dernières années en évitant d’enseigner un sujet en particulier, « par crainte de répercussions négatives ».

« Les enseignants marchent sur des oeufs », illustre M. Blanchet, qui constate que certains d’entre eux ont l’impression d’être limités dans les sujets qu’ils peuvent aborder en classe, certains pouvant choquer une part de leurs étudiants.

« Des professeurs en philosophie, en littérature ou en psychologie vont éviter d’aborder des enjeux liés aux théories critiques de la race ou aux théories critiques du genre parce qu’ils ont peur d’être maladroits et de recevoir des plaintes alors qu’ils sont bien intentionnés et qu’ils voudraient aborder ces enjeux-là avec discernement et avec rigueur », déplore à cet égard le professeur de philosophie au collège de Bois-de-Boulogne Richard Vaillancourt.

Encadrer la liberté d’enseignement

Or, en étant assujettis aux mesures législatives issues du projet de loi 32, les cégeps auraient alors, à l’instar des universités, à adopter une politique sur la liberté d’enseignement, en plus de former un comité paritaire chargé de traiter les plaintes reçues à cet égard. Cela permettrait de mieux encadrer la liberté d’enseignement des professeurs au niveau collégial et ainsi d’éviter des situations où c’est « la direction qui décide ce qui peut être dit ou non », estime M. Vaillancourt.

La présidente du Syndicat des professeures et professeurs du cégep de Sainte-Foy, Édith Pouliot, constate d’ailleurs qu’un « flou » persiste actuellement quant au « devoir de loyauté » que doivent respecter les professeurs en milieu collégial. « On devrait pouvoir critiquer l’établissement auquel on appartient » sans se sentir à risque d’en subir des représailles, fait-elle valoir. Une situation à laquelle l’application au milieu collégial de la loi sanctionnée le 7 juin 2022 à l’Assemblée nationale pourrait remédier, croit-elle.

« On trouve qu’on serait mieux protégés et que ça éviterait des débordements à l’avenir », ajoute le professeur de sciences politiques au cégep Gérald-Godin Sylvain Benoît.

Un bilan nuancé

Pendant ce temps, la présidente de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, Madeleine Pastinelli, dresse un bilan nuancé de cette loi, deux ans après son entrée en vigueur.

« Le portrait qu’on peut faire est assez décourageant », lance-t-elle en entrevue, en rappelant au passage la décision de Québec de bloquer la nomination de la professeure Denise Helly au conseil d’administration de l’Institut national de la recherche scientifique ainsi que celle de l’Université Laval de mettre à pied son professeur Patrick Provost pour ses propos controversés concernant la vaccination contre la COVID-19. Dans ces deux cas, la législation en vigueur n’a pas été respectée, selon elle.

Il est par ailleurs trop tôt pour tirer des conclusions au sujet de la mise en place dans les universités de comités paritaires chargés de se pencher sur les dossiers de liberté d’enseignement, puisqu’ils « sont encore nouveaux, en train de s’approprier leurs rôles », poursuit Mme Pastinelli.

Le cabinet de la ministre Pascale Déry n’a pas commenté le dossier, jeudi.

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