L’année mouvementée de Greg Fergus, président mal aimé et inlassable
La session parlementaire n’aura pas été de tout repos pour le président de la Chambre des communes, Greg Fergus. En moins d’un an en poste, ce dernier a déjà survécu à trois motions exigeant sa démission, dû payer une amende de 1500 $ et présider des débats parfois chaotiques.
« C’est du sport », admet-il d’un rire nerveux en entrevue avec Le Devoir dans l’impressionnant bureau de la présidence, à quelques pas de la Chambre des communes.
Assis à une longue table, au centre de la pièce aux murs tapissés de livres et de portraits de politiciens célèbres, M. Fergus réfléchit aux derniers mois, teintés par des événements qui lui ont coûté la confiance de près de la moitié des députés de la Chambre.
Le premier incident remonte à novembre, moins de deux mois après son arrivée en poste, lorsque le nouveau président enregistre une vidéo pour rendre hommage au chef intérimaire sortant des libéraux de l’Ontario, aussi un ami personnel. Il portait alors l’habit officiel de ses fonctions dans le bureau de la présidence.
La vidéo, diffusée lors d’un congrès à la direction du Parti libéral de l’Ontario, avait provoqué l’indignation des partis d’opposition, qui ont rappelé l’importance que le président des Communes reste impartial.
« J’ai présenté mes excuses à la Chambre des communes. C’était une erreur de tourner cette vidéo. C’était censé être quelque chose de privé. Mais peu importe. Je n’aurais pas dû la tourner, point », regrette-t-il.
Celui qui représente la région de Hull-Aylmer, dans l’Outaouais, avait alors promis de regagner la confiance des députés à l’approche du temps des Fêtes.
Or, de nouveaux incidents partisans ont vu le jour, comme la récente publication d’une invitation destinée aux citoyens de sa circonscription, qui critiquaient les politiques du parti de Pierre Poilievre. Le Parti libéral a rapidement présenté ses excuses, affirmant que le message et le langage partisans de l’invitation avaient été utilisés sans l’accord de M. Fergus.
Le président de 55 ans, envers qui la confiance était déjà fragilisée, reconnaît qu’il aurait bien pu se passer de ce troisième incident.
« J’ai été déçu que ce soit arrivé, avoue-t-il. Je fais assez d’erreurs moi-même. Je n’ai pas besoin que quelqu’un fasse des erreurs à ma place. »
S’il est conscient que les conservateurs et bloquistes souhaitent ardemment son départ, il compte tout de même continuer à occuper le fauteuil jusqu’à ce qu’une majorité d’élus lui montre la porte — et ce, même si cela implique de nouveaux appels à sa démission à la rentrée parlementaire.
« Ça fait partie de la game », lâche-t-il en haussant les épaules.
L’art de tracer la ligne
Chose certaine, le Montréalais d’origine aura fait bien des apprentissages depuis son élection à la présidence qui, rappelons-le, s’est elle aussi déroulée au milieu d’une tempête médiatique. M. Fergus est entré en fonction le 3 octobre dernier à la suite de la démission de l’ancien président de la Chambre, Anthony Rota, qui avait invité un ex-combattant nazi lors de la visite du président ukrainien.
Très rapidement, le nouveau président a dû apprendre les rouages des procédures parlementaires et définir les limites, parfois floues, des propos provocants lancés en Chambre.
« C’est un travail continu de savoir où tracer la ligne. Ce qui n’est pas acceptable un jour peut l’être un autre jour. C’est un art plutôt qu’une science », estime-t-il.
Contrairement à l’Assemblée nationale, à Québec, il n’existe pas un guide qui contienne une liste de mots et d’expressions non parlementaires à Ottawa. Le président doit plutôt tenir compte « du ton, de la manière et de l’intention du député qui les a prononcés, de la personne à qui ils s’adressaient, du degré de provocation et du désordre éventuel qu’ils ont causé à la Chambre », précise le bureau des recherches de la Chambre des communes au Devoir.
M. Fergus remet des députés à l’ordre presque quotidiennement, mais son jugement aura été particulièrement mis à l’épreuve le 30 avril dernier, lorsque le chef de l’opposition officielle, Pierre Poilievre, a traité le premier ministre Justin Trudeau de « cinglé » (wacko, en anglais).
Le chef conservateur ayant refusé de retirer ses propos à quatre reprises, le président a pris la décision de l’expulser de la Chambre des communes pour la journée, provoquant encore plus de brouhaha à la période de questions.
Cette scène aura malgré tout été un mal pour un bien, croit le président, qui observe un certain retour au calme depuis l’expulsion du chef conservateur.
« Depuis ce moment-là, je trouve que tous les députés rentrent dans le cadre de ce qui est acceptable », évalue-t-il.
« Des deux côtés [de la Chambre], je trouve qu’il y a moins de chahut. Les élus ont peut-être compris qu’ils ont dépassé [les bornes], et que s’ils continuaient ainsi cinq semaines de suite, ça allait devenir insupportable », poursuit-il.
Le chef conservateur n’a plus jamais répété cet épisode, mais continue de jouer sur la ligne en employant fréquemment le terme « cinglé » pour décrire les politiques du gouvernement.
« Des politiques cinglées, c’est différent d’une attaque envers la personne, juge M. Fergus. Je pense que ça passe, parce qu’on est en train de [décrire] les idées. C’est important d’avoir des conflits d’idées poussés. C’est aussi ça, notre système parlementaire. »
La fin d’un Parlement
L’année parlementaire, qui vient de tirer à sa fin, aura été marquée par une vague de menaces et de harcèlement envers les élus, mais aussi par les dénonciations sur le climat toxique qui s’installe entre les élus eux-mêmes.
La députée libérale Pam Damoff a notamment annoncé son départ de la politique, déplorant que les relations entre les élus à Ottawa se soient détériorées en raison d’un désir de clips et de likes sur les réseaux sociaux.
« On arrive à la fin d’un Parlement. Il y a donc une certaine fébrilité dans l’air. Certains députés aimeraient partir en élections, tandis que d’autres songent à leur avenir en politique, donc la tension monte », reconnaît M. Fergus.
Ce dernier ne s’inquiète pas de débordements dans un avenir rapproché, mais n’exclut pas de pouvoir s’inspirer de sanctions plus sévères en vigueur dans d’autres pays. Le parlement britannique, par exemple, prévoit la suspension d’un député pendant cinq jours ouvrables sans salaire lors d’une première infraction, puis pendant vingt jours s’il récidive.
« Je pense que [nos règles] fonctionnent bien en ce moment. Mais force est d’admettre qu’il faudra voir si ce sera suffisant à l’avenir. On verra bien », conclut-il.