Anglicismes et vulgarités s’immiscent à la radio
Un langage familier, des anglicismes et parfois même des vulgarités font quotidiennement leur chemin jusqu’aux oreilles des auditeurs branchés sur les radios publiques ou privées du Québec. C’est du moins le constat d’une nouvelle étude sur l’état du français à la radio, dont les conclusions ont été présentées pour la première fois mardi au congrès de l’Acfas.
« Le temps d’antenne est un privilège. Ce qui est entendu peut influencer et être reproduit par une partie des auditeurs. Ce qu’on entend en ondes devient une norme acceptable dans la société », lance en entrevue Marie-Josée Olsen, enseignante-chercheuse à l’École supérieure en art et technologie des médias du cégep de Jonquière.
Pour son étude, elle a passé au crible pas moins de 40 émissions diffusées en direct, toutes dans le créneau horaire du matin. Pour établir un portrait juste et global, elle s’est intéressée autant aux radios publiques qu’aux radios privées, choisissant des émissions nationales, régionales et ultralocales.
Pour l’exercice, seules les paroles des artisans du milieu — animateurs, journalistes ou chroniqueurs — ont été analysées, soit 134 personnes au total. « Ce sont eux qui ont un standard [de langage] à maintenir, pas les intervenants invités », explique Mme Olsen.
Résultat ? « Char », « frette », « niaisage », « pogner » ou encore « cossins » : le langage familier se retrouve dans toutes les émissions écoutées. Les anglicismes (“la gang” en tête de liste) s’y glissent aussi chaque fois, tandis que, dans 38 émissions sur 40, on note des impropriétés de langage.
La chercheuse a également constaté l’utilisation de mots « très familiers » — des jurons adoucis, comme « tabarnouche » ou « tabarnane » par exemple — dans près de la moitié des cas (17 émissions sur 40). Le quart des émissions (10 sur 40) contenaient carrément des mots vulgaires, soit des jurons, des mots relatifs à la sexualité ou à la scatologie. « Il y a beaucoup de sacres en ondes, note la chercheuse. On s’attendait à y retrouver du langage familier et des anglicismes, mais le vulgaire, c’est nouveau à ma connaissance. »
« On parle quand même d’émissions matinales qui oscillent entre informations et divertissement, en donnant la météo, la circulation, les sujets du jour, poursuit-elle. Il y a un certain standard professionnel à maintenir, on n’est pas dans un podcast d’humour. »
Des choix délibérés
Le code grammatical et syntaxique n’est pas non plus toujours bien respecté par les professionnels de la radio. Presque toutes les émissions de l’étude contenaient des « constructions boiteuses », c’est-à-dire des phrases tronquées ou reformulées. Les trois quarts comptaient des erreurs de préposition, d’accord ou de genre.
Dans plus de la moitié des cas, c’est l’emploi des pronoms, la conjugaison des verbes ou encore la présence de structures indirectes qui faisaient défaut.
« Au final, c’est le choix des mots qui est problématique plus que la construction des phrases. Il y a un choix qui est fait quand on décide de dire “char” au lieu de “voiture” ou “toune” au lieu de “chanson” », fait remarquer Mme Olsen.
À la lumière des données récoltées, elle voit dans ce glissement vers un langage familier et populaire une volonté des artisans de la radio de se « rapprocher de l’auditeur ». Ceux qui travaillent dans les médias ont pourtant un devoir de maintenir un standard professionnel et de s’exprimer dans un français juste et crédible, ajoute-t-elle.
Amélioration
Les données le montrent, on peut s’améliorer. Et les artisans de la radio en sont conscients. Dans le cadre de l’étude, Mme Olsen a fait remplir un questionnaire à 65 volontaires du milieu pour connaître leur perception de la qualité du français en ondes.
La majorité s’est dite « préoccupée » par la qualité de la langue et « ouverte à l’amélioration ». Les gens estiment pour la plupart que la qualité du français s’est dégradée avec le temps, mais qu’elle demeure suffisante. « Ça m’a surprise de voir que, pour les [artisans du milieu] ce sont les anglicismes qui dérangent le plus, et cela semble même être un indicateur de qualité. » Le milieu ne semblait pas penser que la présence de vulgarités pouvait déranger tout autant le public, note l’autrice de l’étude.
De son côté, elle compte bien utiliser ces résultats pour adapter son cours d’expression orale au cégep de Jonquière. « L’idée est de voir les tendances linguistiques, les tolérances sur le marché et de s’y arrimer. Ça me permet aussi de combler les lacunes, d’insister sur certains points dans ma formation », conclut-elle.