Élections américaines

Après un débat désastreux, la panique chez les démocrates

Ce qui devrait être un point de rupture dans la campagne entre Joe Biden et Donald Trump risque désormais de se transformer en référendum sur sa candidature.
Photo: Justin Sullivan Getty Images via Agence France-Presse Ce qui devrait être un point de rupture dans la campagne entre Joe Biden et Donald Trump risque désormais de se transformer en référendum sur sa candidature.

En acceptant de débattre en direct à CNN avec Donald Trump jeudi soir, de manière hâtive dans le calendrier électoral américain, Joe Biden avait un but très simple : marquer sa différence face à son adversaire républicain et, surtout, donner rapidement le ton à la campagne qui s’amorce, en l’inscrivant dans le choix crucial que les Américains vont devoir faire selon lui dans quatre mois.

Un choix en faveur d’un ex-président ayant incité ses troupes à l’insurrection en 2021 (et un criminel condamné en juin dernier par un tribunal de New York) ou bien un choix en faveur de la protection de la démocratie et de ses institutions.

Mais au terme de 90 minutes d’un débat souvent laborieux pour le président sortant, c’est finalement la panique qu’il a réussi à faire entrer dans les rangs démocrates, où plusieurs voix se font entendre, dans la foulée de ce face-à-face, sur la capacité de Joe Biden à soutenir un deuxième mandat. Et ce qui devrait être un point de rupture dans la campagne entre lui et Donald Trump risque désormais de se transformer en référendum sur sa candidature, à moins de deux mois de la convention nationale démocrate, prévue à Chicago en août, censée la confirmer.

« Je ne suis pas le seul à avoir le coeur brisé en ce moment. Il y a beaucoup de gens qui ont regardé cela ce soir et qui ont terriblement souffert pour Joe Biden », a déclaré l’ex-sénatrice démocrate Claire McCaskill sur les ondes de MSNBC jeudi soir. « Je ne sais pas si des choses peuvent être faites pour résoudre ce problème. »

« La panique s’est installée », a déclaré pour sa part immédiatement après le débat David Axelrod, ex-conseiller de Barack Obama et analyste politique à CNN, au sujet de la performance de Joe Biden. « Il va y avoir des discussions. Je ne sais pas où elles vont mener. Mais il va y avoir des discussions pour savoir s’il doit continuer. »

« Avons-nous encore le temps de choisir quelqu’un d’autre ? » s’est demandé Mark Buell, important donateur de la campagne de Joe Biden, cité par le New York Times, sans toutefois appeler à la démission du président. « Nous avons la responsabilité de prendre la mesure de l’opinion des Américains en ce moment et de la présenter à Joe Biden, parce que les enjeux sont bien trop élevés dans cette course. »

« Ce serait le bon moment pour Biden d’abandonner la course en invoquant des problèmes de santé », a pour sa part commenté Nadia B. Ahmad, une membre floridienne de l’aile progressiste du Comité national démocrate, après la première heure du débat.

« Un sacré cauchemar »

En maîtrise des faits pour défendre son bilan et attaquer les réalités alternatives de son opposant républicain, Joe Biden a souvent été aux prises avec une livraison désastreuse de son message, un ton hésitant, des phrases inachevées, une pensée confuse et un regard parfois perdu qui tranchait à côté de la personnalité forte et des affirmations erronées lancées avec assurance par le populiste.

Un « sacré cauchemar », a commenté un proche du président, cité anonymement dans les pages du quotidien The Hill, une sorte d’accident au ralenti qui va doucement mener le Parti démocrate vers une défaite électorale, selon lui, et que les téléspectateurs n’ont pas manqué de voir eux aussi.

Quarante-trois pour cent des Américains accordent la victoire à Donald Trump dans un premier coup de sonde lancé à chaud vendredi matin par YouGov dans un bassin de plus de 3000 répondants. Ils sont 22 % à qualifier Biden de vainqueur, contre 35 % qui n’étaient sûrs ni de la victoire de l’un ni de celle de l’autre. Au total, 59 % des personnes sondées ont dit avoir regardé le débat dans son ensemble ou en partie.

Joe Biden « a eu une mauvaise soirée de débat », a reconnu vendredi matin à MSNBC le gouverneur de la Pennsylvanie, Josh Shapiro, figure montante au sein du Parti démocrate, « mais cela ne change rien au fait que Donald Trump était un mauvais président ». Le sénateur du même État, John Fetterman, qui a fait l’expérience d’un débat chaotique et laborieux durant les élections de mi-mandat de 2022 avant de se faire élire, a pour sa part appelé le camp démocrate à « se détendre ». « Je refuse de rejoindre les vautours démocrates qui planent au-dessus de Biden après le débat, a-t-il écrit sur le réseau X. Personne ne sait mieux que moi qu’un débat houleux n’est pas la somme totale d’une personne et de son bilan. »

« Joe Biden fait un excellent travail en tant que président et il va être le candidat démocrate à moins qu’il décide de ne plus vouloir du poste », a commenté le stratège politique démocrate Mark Mellman, joint vendredi matin à Washington par Le Devoir. « Hier et chaque jour, Donald Trump se révèle être un menteur en série. Nous ne pouvons pas avoir cela comme président. »

Stop ou encore ?

Il n’existe aucun mécanisme officiel au sein du Parti démocrate et de sa convention nationale, qui va se tenir fin août à Chicago, pour remplacer le candidat ayant remporté les primaires. Quelque 95 % des électeurs ont opté pour la candidature de Joe Biden. Seul un départ volontaire pourrait forcer la tenue d’une « convention ouverte », chargée alors de trouver un nouveau candidat.

La vice-présidente, Kamala Harris, arriverait alors en tête des remplaçants possibles, mais les 700 délégués pourraient également choisir plusieurs autres candidats potentiels dont les noms apparaissent régulièrement dans les cercles démocrates lorsqu’il est question de l’après-Biden : Gavin Newsom, la gouverneure de la Californie ; Gretchen Whitmer, la gouverneure du Michigan ; ou encore J. B. Pritzker, le gouverneur de l’Illinois.

Depuis Atlanta jeudi soir, où il était dans l’entourage du président, Gavin Newsom a toutefois qualifié ces « spéculations » d’absurdes. « Je ne tournerai jamais le dos au bilan du président Biden, a-t-il dit. Je ne tournerais jamais le dos au président Biden et je ne connais aucun démocrate de mon parti qui le ferait, surtout après ce soir. »

La manoeuvre, qui laisserait alors trois mois au nouveau candidat pour se faire connaître de l’ensemble du pays — et, surtout, pour unir le parti vers une victoire —, s’avère également hautement périlleuse au regard des « 13 clés pour la Maison-Blanche », un système prédictif établi en partie par l’historien politique Allan Lichtman, qui, depuis 1984, a su anticiper avec exactitude le résultat des courses présidentielles, y compris celle de 2016, qui a porté Donald Trump au pouvoir.

Or, le Parti démocrate vient certainement de perdre l’une de ses clés jeudi soir, celle du « charisme » du président sortant, qui s’est envolée au terme de ce débat. Il en faut au moins sept pour s’assurer d’une victoire.

Le déclenchement d’une primaire avec une course déchirante pour le remplacer viendrait en faire perdre une autre au camp démocrate. Ce qui pourrait lui être fatal aux urnes en novembre prochain.

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