L’Aire publique d’Exmuro, faire entrer l’art public à l’intérieur

Jay Soule, au premier plan, en installation de son oeuvre «Built on Genocide», exposée à l'Aire Publique d'EXMURO à Québec en juin 2024
Photo: Stéphane Bourgeois Jay Soule, au premier plan, en installation de son oeuvre «Built on Genocide», exposée à l'Aire Publique d'EXMURO à Québec en juin 2024

Exmuro, organisme d’art public et contemporain, inaugure l’espace l’Aire publique en face de la place Royale, à Québec. Une première exposition y rassemble quatre oeuvres disparates : de gros bonhommes roses, une installation de 8000 morceaux de verre, une grotte tout en fourrure artificielle et des centaines de crânes de bisons.

En avril dernier, Exmuro annonçait la fin du projet des passages insolites, marque de fabrique de l’organisme présentant depuis une dizaine d’années des oeuvres extérieures dans le centre-ville de Québec. Le projet de l’Aire publique a pris le relais dans la maison Hazeur, lieu culturel de quatre étages d’une rare qualité muséale.

« On a gagné une nouvelle manière de créer et de diffuser de l’art », dit le codirecteur et directeur artistique d’Exmuro, Vincent Roy. À preuve, aucune oeuvre du quatuor d’ouverture ne serait réalisable à l’extérieur.

Avec ses quatre murs et son toit, l’Aire publique est quand même considérée comme un espace d’art public par ses créateurs. Pour en arriver à ce sentiment d’ouverture, il n’y avait « pas d’autres choix que la gratuité », exprime son directeur artistique. Exmuro finance ses projets avec des subventions et les contributions volontaires des visiteurs.

Photo: Stéphane Bourgeois «Resurgence» de Jérôme Trudelle, oeuvre exposée à l'Aire publique d'EXMURO à Québec, en juin 2024

Oeuvres décousus

Des statues gonflables géantes à l’effigie de Monsieur Rose, la mascotte du mouvement « mignonisme » de l’artiste multidisciplinaire Philippe Katerine, qui envahissent la façade de la maison Hazeur. Des versions plus petites de ces bonhommes bonbons accueillent le public à l’entrée cet été.

« L’exposition Mignoniste » s’installe au premier étage de l’Aire publique et propose un parcours à travers divers dessins, diverses sculptures, toiles et photographies de l’univers du chanteur français. Elle suit en partie une forme assez classique avec des dessins encadrés et quelques sculptures.

Vincent Roy souhaite s’éloigner de cette forme classique du « cadre sur mur blanc ». Il y arrive avec les trois autres propositions.

Abysses, d’Alissa Bilodeau, invite les spectateurs dans une salle recouverte de faux poils et de textures toutes très colorées. Alternant entre le rose et le bleu, la caverne imaginée stimule tous les sens grâce à son tapis doux et sa musique envoûtante, créée tout particulièrement pour illustrer l’« ambiguïté de la nature ». L’impression d’entrer dans le rêve d’une peluche plaira particulièrement aux enfants.

Abysses concrétise le rêve d’Alissa Bilodeau de « remplir un espace le plus possible avec plein de textures et de matériaux ».

Photo: Stéphane Bougeois L'oeuvre «Abysses» de l'artiste Alissa Bilodeau, à L'aire commune d'EXMURO, à Québec en juin 2024

« Le lieu parle »

La maison Hazeur a aussi permis de créer des oeuvres ancrées dans l’histoire du lieu, à l’image de ce que faisait Exmuro dans la rue avec ses passages insolites. Built On Genocide, de Jay Soule, artiste autochtone de la nation Chippewas de la rivière Thames, dénonce la colonisation violente du Canada. Une affiche introductive explique ce qu’est un génocide pour l’artiste. Elle liste les destructions des peuples et des cultures de vie, en commençant par l’anéantissement des bisons des plaines. « J’ai mis le massacre des bisons en premier, car ça représente toute la base sur laquelle le Canada est construit », dit l’artiste.

D’autres affiches présentent la réalité génocidaire, dont une où Justin Trudeau est dépeint en lisant le « Little Golden Colonizer Book » à des enfants. L’installation montre ensuite 1500 répliques de crânes de bisons empilés dans le sous-sol de l’Aire publique.

« Les voûtes, c’est l’ancien sous-sol de M. Hazeur, où il entreposait ses peaux et ses fourrures, explique Vincent Roy. Amener de l’art autochtone là, ça laisse le lieu parler. »

L’artiste Jérôme Trudelle s’inspire aussi du lieu de mémoire avec Résurgence. Quatre-vingts cadres et 8000 morceaux de verres suspendus ont été utilisés pour créer une « chronosculpture », une impression de temps suspendu qui se détache de l’ensemble. « Exmuro m’a demandé de créer une oeuvre qui pose un regard historique sur la place Royale », raconte l’artiste originaire de Québec.

Pour réaliser cette mission, il a reçu l’aide d’une archéologue qui lui a fourni certains morceaux de verres antiques qui ont été retrouvés sur la place Royale. Jérôme Trudelle note cependant que « 99 % de la vitre dans l’oeuvre ne vient pas d’artéfacts ». C’est également le cas pour les cadres de fenêtre qui « sont anciens, mais viennent d’un peu partout ». Un choix conscient pour l’artiste qui tenait à illustrer la restauration quasi complète de la place Royale qu’il décrit plutôt comme une « reconstruction ». « C’est beau, c’est bien restauré, mais ça a été reconstruit pleinement. »

Pour encore plus ancrer la sculpture dans le contexte historique et l’idée d’un « simulacre », M. Trudelle a créé ses « propres artéfacts » en gravant chaque vitre, qu’elle soit brisée ou non, avec diverses informations historiques sur la place Royale. Une équipe de 20 bénévoles a travaillé pendant un mois avec l’artiste pour arriver au produit final.

Photo: Stéphane Bourgeois «Monsieur Rose» s'envole de Philippe Katerine, accroché à la façade de la maison Hazer, qui héberge L'Aire publique d'EXMURO, sur la place Royale à Québec, en juin 2024

Regard sur le futur

Pour l’année prochaine, Vincent Roy promet une édition avec « un ton plus éditorial et politique » et une sélection d’artistes québécois. L’idée d’appréhender l’objet comme thème est envisagée pour la troisième année de l’Aire publique.

L’Aire publique ne signifie pas pour autant la fin des installations d’art en extérieur pour Exmuro. L’organisme continue la diffusion d’oeuvres dans différentes villes. Dans les prochains mois, plusieurs vont être installées dans le quartier Petit-Champlain et sur la place Royale afin de compléter la programmation du nouvel espace de diffusion.

« L’exposition Mignoniste » se poursuit jusqu’en octobre 2024 alors que l’exposition inaugurale prendra fin en mars 2025. L’entrée est gratuite.

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