20 ans de cinéma pour le Wapikoni mobile
Marie-Josée R. Roy
Ce texte fait partie du cahier spécial Développement autochtone
Faire un film en seulement un mois ? Il n’y a peut-être que le Wapikoni mobile pour réaliser pareil exploit. Depuis maintenant deux décennies, l’organisme fondé par la cinéaste Manon Barbeau nourrit la persévérance de jeunes Autochtones et élargit leurs horizons en les initiant aux métiers du cinéma… en accéléré !
Le Wapikoni mobile a vu le jour en 2004. La réalisatrice et scénariste Manon Barbeau travaillait sur un projet avec des jeunes d’une communauté attikamek de Wemotaci, lorsqu’est survenu le décès d’une participante du groupe, nommée Wapikoni. Un tragique événement qui a quelque peu découragé ses comparses de poursuivre l’aventure entamée, mais qui a poussé Mme Barbeau à créer une collaboration plus large avec la jeunesse autochtone, en utilisant le cinéma comme véhicule.
« C’était beaucoup, au début, axé sur l’intervention sociale, parce qu’à l’époque, il y avait énormément de situations problématiques avec les jeunes, beaucoup de suicides, des difficultés de cette envergure-là. Les jeunes avaient parfois peu de choses à faire dans les communautés, et peu de places pour s’exprimer », raconte Véronique Rankin, directrice générale de l’organisation depuis octobre 2021, elle-même membre de la communauté autochtone de Pikogan, là où le Wapikoni a commencé ses activités.
Depuis, le Wapikoni mobile articule son mandat autour de ses escales, c’est-à-dire l’arrêt de ses studios ambulants dans les communautés autochtones, selon des trajets bien définis. Déployés dans des roulottes, ces studios sont parfaitement équipés et fonctionnels pour concevoir courts métrages et enregistrements musicaux et stimuler la création. Le Wapikoni effectue désormais une douzaine d’escales par année, essentiellement concentrées en période estivale.
Honneurs et distinctions
Quand l’équipe du Wapikoni — cinq personnes par escale, dont des cinéastes mentors et des intervenants sociaux — débarque dans une communauté, c’est un joli mois de création qui s’enclenche, au cours duquel un soin particulier est apporté aux échanges avec les cinéastes en herbe et à « l’évacuation » de leurs émotions.
« On est un organisme à portes ouvertes, donc pas besoin de s’inscrire à l’avance, note Véronique Rankin. Parfois, des gens arrivent en ayant déjà des idées en tête ; d’autres fois, ils viennent simplement pour flâner, et décident finalement de faire un film [rires]. On était auparavant beaucoup axés sur la jeunesse autochtone, mais depuis cinq ou six ans, on voit beaucoup d’adultes et même d’aînés s’intéresser à nos activités. Des aînés qui veulent partager leur savoir peuvent proposer un film sur le tannage des peaux, par exemple. Nous, on accepte tout le monde ! »
L’impressionnant volume d’oeuvres générées par le Wapikoni mobile se chiffre à environ 50 à 70 courts métrages par année. L’artiste multidisciplinaire attikamek Catherine Boivin a notamment présenté Anotc ota ickwaparin akosiin, mitonné au Wapikoni, lors d’un rendez-vous cinématographique se déroulant parallèlement au Festival de Cannes. Le réalisateur innu Réal Junior Leblanc, qui a profité aussi du soutien du Wapikoni, a quant à lui été invité sur le plateau du film Testament, de Denys Arcand, où il a bénéficié d’un stage d’observation. Le chanteur Samian, l’auteure-compositrice-interprète Kanen et l’écrivaine Natasha Kanapé Fontaine sont aussi passés par le Wapikoni. Ce collectif a d’ailleurs récolté plus de 240 prix et mentions en deux décennies.
« Personnellement, en tant que personne autochtone, j’ai pris conscience de l’importance de la collection de films créés à travers les années. Plus de 1400 courts métrages ont été produits, 1400 histoires par et pour les Autochtones, destinées à leur monde. Au départ, le but était d’offrir un endroit aux jeunes pour qu’ils puissent s’affirmer ; 20 ans plus tard, on a une collection de 1400 courts métrages faisant foi de cet engagement des créateurs du Wapikoni mobile. Je n’ai pas fait de recherches exhaustives, mais c’est l’une des seules collections de cette envergure au monde, de courts métrages autochtones, en différentes langues autochtones, disponibles également en français, en anglais et parfois en espagnol », s’enorgueillit Véronique Rankin.
Voilà l’une des richesses que souhaite célébrer le Wapikoni mobile pour ses 20 ans. Un rassemblement anniversaire, dont les détails seront bientôt dévoilés, aura lieu à l’automne. On y rappellera les faits saillants et les créations marquantes de « Wapi », comme l’indique Mme Rankin.
Répercussions sociales
Aux yeux de Véronique Rankin, les répercussions sociales du Wapikoni mobile sont indéniables. Des « diplômés » de cette école de cinéma en accéléré, comme Réal Junior Leblanc, ont déjà exprimé combien cette tribune d’expression « sans tabous et sans limites » leur avait donné un objectif auquel se raccrocher.
« Notre formule d’un mois est réfléchie en termes d’intervention. Quand un jeune entre dans la roulotte et commence un projet, on veut absolument qu’il le termine. C’est important pour les jeunes des communautés de voir qu’ils sont capables d’accomplir quelque chose de A à Z. En un mois, ça peut avoir un gros impact sur la vie de quelqu’un. Après, des jeunes qui n’avaient jamais pensé faire un film peuvent se dire qu’ils sont capables de tout faire ! [rires] »
Dans l’avenir, le Wapikoni mobile souhaite professionnaliser sa démarche et propulser davantage la relève autochtone dans le développement du milieu audiovisuel, pour pallier la pénurie de main-d’oeuvre, entre autres. L’accès à des communautés non joignables par la route — comme dans le Grand Nord — doit aussi être peaufiné, mentionne Véronique Rankin, en saluant au passage l’implication des communautés autochtones dans la mission du Wapikoni mobile.
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